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expriment assez fidèlement la situation de l’agriculture française et permettent de mesurer les progrès qui ont été accomplis.

Tout a été dit sur la constitution de la propriété foncière. Contrairement aux faits observés en Angleterre et dans les pays où subsistent les vestiges de l’organisation féodale, la grande propriété est réduite en France à une faible proportion : elle représente à peine le huitième de l’étendue occupée par la culture. C’est la propriété moyenne et petite qui domine, et le morcellement du sol poursuit son cours. On peut en juger par l’augmentation, très exactement constatée, du nombre des cotes foncières. En 1815, on comptait dix millions de cotes, en 1850 douze millions ; le chiffre actuel approche de treize millions. De bons esprits se sont alarmés de cette progression toujours croissante, qui exercerait, suivant eux, la plus fâcheuse influence sur la culture et enlèverait à la production française les avantages attachés au système des grandes exploitations. On en est même venu à hasarder quelques critiques, timides d’abord, puis plus accentuées, contre la loi des successions, dont l’effet certain est de multiplier les morcellemens. Amenée sur ce terrain, la discussion risque d’être éternelle. Le régime des successions, tel qu’il a été établi par le code civil, repose sur des principes qui ne se laisseraient pas facilement ébranler, et qui seraient défendus au besoin par les forces les plus vives de la démocratie, de la société française. Toutes les objections, si savamment opposées, dans l’intérêt spécial de l’agriculture, à l’égal partage des biens, se briseront contre l’invincible résistance de nos sentimens et de nos mœurs. Si le morcellement excessif est un mal, ce n’est pas dans une réforme de législation équivalente à une révolution sociale qu’il faut chercher l’unique remède. Du reste, la petite propriété ne manquerait pas d’argumens pour répondre aux reproches d’impuissance qui lui sont adressés. Elle pourrait alléguer que, sous l’empire de la loi qui nous régit, la valeur vénale du sol s’est accrue de plus du double de 1821 à 1851, comme cela résulte des recensemens effectués par l’administration, à ces deux époques, et que le revenu net cadastral a présenté, entre les mêmes périodes, une augmentation des deux tiers. Après avoir cité ces chiffres, le rapport sur le projet de code rural récemment élaboré par le sénat ajoute : « Il a été reconnu que la valeur de la grande propriété s’est à peine accrue d’un tiers ou d’un quart dans cet intervalle de trente ans, tandis que les terrains d’une qualité inférieure, morcelés et acquis presque exclusivement par les cultivateurs, ont quadruplé et même quintuplé de prix. » La question, même au point de vue particulier de l’agriculture, n’est donc point décidée contre la petite propriété, comme l’affirment les partisans de l’opinion contraire en invoquant l’exemple du système anglais. M. Block, après avoir recueilli avec soin tous les documens