Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sein de la noblesse, ne rencontra aux états de Bretagne, pendant tout le règne de Louis XIV, que des organes rares et timides, tant on y était écrasé par la grandeur du monarque et déshabitué de vivre d’une autre pensée que la sienne[1] ! De leurs prérogatives souveraines, placées sous la sanction d’une sorte de traité international, les états ne conservèrent plus qu’un pompeux cérémonial, voilant à peine leur abdication politique. Une grande chère, un jeu effréné, des bals, des plaisirs, des profusions scandaleuses, suppléèrent, pour une génération, à ces droits constitutionnels, trop opposés au système de l’administration monarchique pour que cette incompatibilité ne rendît pas plus tard une crise inévitable.

Après avoir longuement exposé l’ordre des préséances et la splendide décoration de la salle des états, un ancien premier président, depuis intendant en Bretagne, nous donne ainsi qu’il suit le programme d’une session législative : « Le lendemain, après une messe pontificale du Saint-Esprit, le gouverneur remet au greffier les commissions des deux commissaires du conseil, et après qu’elles ont été lues, le premier d’entre eux fait au nom du roi la demande du don gratuit. Le procureur-général, syndic de la province, répond à son discours pour représenter l’état où elle se trouve et le besoin qu’elle a des bontés du roi, Les commissaires se retirent aussitôt pour donner lieu à la délibération, qui était longue autrefois, parce qu’avant de la faire il était d’usage d’examiner les contraventions aux précédens contrats, d’en former une plainte aux commissaires, et enfin on négociait longtemps sur la somme demandée ; mais à présent les états l’accordent toujours unanimement, sans même que les ordres fassent aucune délibération particulière ou générale. Ainsi l’on ne tarde pas à faire savoir aux commissaires par six députés de chaque

  1. Il est vrai que lorsque les membres des états se permettaient de prendre leur rôle au sérieux, le gouverneur de la province avait des moyens fort efficaces pour les rappeler au respect du à la volonté royale. « Nous avions résolu, écrit le duc de Chaulnes à Colbert en janvier 1673, de chasser deux gentilshommes qui s’étaient distingués dans le corps de la noblesse par des discours trop pathétiques sur l’état de cette province. Je l’exécutai hier matin, et, les ayant fait venir chez moi, je leur ordonnai de se retirer de cette assemblée, et les fis sortir de cette ville dans mon carrosse, avec un officier suivi de six de mes gardes. Cette action a été soutenue de toute l’autorité que le roi m’a commise, et la journée d’hier se passa en trois députations pour le retour de ces gentilshommes. Nous nous servîmes de ces députations pour faire craindre aux états que s’ils ne délibéraient promptement sur le don du roi et sans aucune condition, nous nous en désisterions, parce que la gloire du roi souffrirait trop de mendier, ce semble, un don plus glorieux à faire qu’utile à recevoir, et après nous être expliqués sur l’obéissance aveugle que l’on devait avoir à toutes les volontés de sa majesté, les états nous ont député ce matin pour la supplier de vouloir accepter les 2,000,000 livres que nous avons eu ordre de demander. Cette délibération a passé tout d’une voix et sans condition. » — Correspondance administrative sous Louis XIV, t. Ier, p. 537.