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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 31.djvu/948

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arrive de trois manières différentes à produire les traits individuels. Or, on l’a vu, que l’un de ceux-ci vienne à s’exagérer, et il en résulte une variété. La force héréditaire suffit donc, sans l’intervention d’aucune autre, pour expliquer l’apparition de ces individus qui se distinguent assez de leurs plus proches parens pour mériter ce nom et devenir la souche d’une race. Toutefois, si les variations de l’espèce n’avaient d’autres raisons d’être que celles que nous venons d’indiquer, elles se renfermeraient évidemment dans d’assez étroites limites, et il serait bien difficile, sinon impossible d’expliquer les déviations si considérables dont nous avons constaté l’existence. Il faut donc qu’une autre cause vienne s’ajouter aux précédentes pour écarter de leur type certains individus, et cette cause, nous l’avons déjà nommée, c’est l’action de milieu.

Nous avons supposé jusqu’ici que l’hérédité agissait en dehors de toute circonstance pouvant troubler ou modifier son action ; mais le père, la mère, placés dans des conditions d’existence quelconques, subissent incessamment l’influence de ces conditions. Chez la mère, l’organisme lui-même constitue à son tour le milieu dans lequel s’organise, croît et se développe l’être futur. Or ce n’est pas seulement lorsqu’il a pris une forme précise, lorsqu’il est parvenu à l’état d’embryon ou de fœtus, que cet être est vivant. Avant même qu’il n’existe en réalité, l’œuf dans lequel il prendra naissance a sa vie propre et individuelle, qui se manifeste par des mouvemens spontanés et caractéristiques. Cet œuf vit dans toute l’acception du mot[1]. Par conséquent, comme tous les êtres vivans, il doit subir l’action du milieu qui l’entoure et pouvoir être modifié par lui. Lorsque l’intervention du père a régularisé l’exercice de la vie de l’œuf, qu’elle en a assuré la durée et a préparé ainsi la formation d’un nouvel être, celui-ci, bien qu’abrité par ses enveloppes et protégé en apparence contre toutes les atteintes du monde extérieur, n’en doit pas moins être soumis à une foule d’influences. Soit qu’ils se développent dans le sein de la mère, comme chez l’homme et les mammifères, soit qu’ils grandissent dans un œuf expulsé au dehors, comme chez les oiseaux, les poissons et presque tous les invertébrés, l’embryon, le fœtus, par cela seul qu’ils sont placés dans un milieu quelconque, doivent inévitablement être soumis à l’action de ce milieu.

Voilà ce qu’indique la théorie, et une foule de faits en confirment les prévisions. — On sait avec quelle facilité les œufs de la poule

  1. Mes observations sur les œufs non fécondés des termites, des tarets et de quelques autres annélides et mollusques ont mis hors de doute cette vie indépendante de l’œuf. J’ai donné quelques détails à ce sujet dans mes Souvenirs d’un naturaliste Saint-Sébastien, livraisons du 15 jauvier et 15 mars 1850). Je suis revenu sur cette question dans les études relatives à la généagénèse.