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s’imprègnent de certaines odeurs ou de saveurs résultant de la nourriture prise par la pondeuse[1]. Il est évident que la fécondation n’a rien à faire ici, et que l’action modificatrice s’est exercée directement sur l’œuf. — Les expériences répétées de M. Flourens ont montré qu’en mélangeant de la garance aux alimens d’une femelle de mammifère en état de gestation, on produit la coloration en rouge des os du fœtus aussi bien que de ceux de la mère. Celle-ci a donc transmis au petit qu’elle porte une action exercée d’abord sur elle-même. — M. Coste, après avoir placé les œufs colorés en jaune d’une truite saumonée dans une eau impropre à produire le saumonage, a vu ces œufs pâlir à mesure que le jeune animal se développait, et les truitons, au sortir de ces œufs, avaient perdu la teinte caractéristique de leur race[2]. Ici c’est l’œuf qui, en rapport direct avec le milieu, en subit d’abord l’influence et la transmet au jeune animal. — Nous pourrions multiplier ces exemples et invoquer jusqu’au témoignage de Geoffroy Saint-Hilaire, qui a trouvé dans les violences exercées sur la mère la cause bien évidente de certaines monstruosités ; mais ce qui précède suffit pour mettre hors de doute ce que nous voulions démontrer, savoir : que les actions de milieu commencent à se manifester dans l’œuf même avant la fécondation, et qu’elles se continuent sur le produit de cette fécondation pendant toute la vie embryonnaire.

Il est hors de doute que ces mêmes actions influent après la naissance sur le jeune et sur l’adulte lui-même. Toutefois on comprend que la puissance en doit être plus grande quand, au lieu de s’exercer sur un organisme complet et définitivement fixé, elles pèsent sur ce même organisme au moment même où il se forme. Quiconque se sera fait une idée même approximative des mouvemens continuels et comme tumultueux dont le germe est alors le théâtre, quiconque aura présens à l’esprit cet apport et ce départ incessans de matière qui, sous l’influence de la vie, façonnent et métamorphosent de cent manières les formes générales, les appareils entiers, les organes, les tissus eux-mêmes avant de les amener à leur état définitif, comprendra sans peine que la moindre cause perturbatrice intervenant dans ce travail doit en modifier le résultat[3]. On est

  1. Les œufs d’une poule qui a avalé même un assez petit nombre de vers à soie ne sont réellement pas mangeables.
  2. La truite blanche et la truite saumonée ne sont que des races d’une même espèce. Certaines eaux produisent le saumonage même chez la carpe. Je tiens ce fait de M. Valenciennes, c’est-à-dire du naturaliste regardé à juste titre comme le premier des ichthyologistes vivans.
  3. Pour ces premiers temps de la vie embryonnaire chez l’homme et les mammifères, on peut consulter la première de mes études sur les métamorphoses, livraison du 1er avril 1855.