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Les os servirent à mille usages domestiques. Des fibres on fit des cordes et des filets. La peau du phoque, coupée à la taille de la femme, la couvrit frissonnante. Même habit pour les deux, sauf la pointe un peu basse qu’elle allonge, plus un petit ruban de cuir rouge qu’elle met galamment en bordure pour plaire et pour être aimée. Mais ce qui fut bien plus utile, c’est qu’industrieusement, de peaux cousues, ils firent la machine légère, forte pourtant, où cet homme intrépide ose monter, et qu’il nomme une barque : misérable petit véhicule long, mince, et qui ne pèse rien. Il est très strictement fermé, sauf un trou où le rameur se met, serrant la peau à sa ceinture, On gagerait toujours que cela va chavirer… Mais point. Il file comme une flèche sur le dos de la vague, disparaît, reparaît, dans les remous durs, saccadés, que font les glaces autour, entre les montagnes flottantes.

Homme et canot, c’est un. Le tout est un poisson artificiel ; mais qu’il est inférieur au vrai ! Il n’a pas l’appareil, la vessie natatoire qui soutient l’autre, le fait à volonté lourd ou léger. Il n’a pas l’huile qui, plus légère que l’eau, veut toujours surnager et remonter ; à la surface. Il n’a pas surtout ce qui fait, chez le vrai poisson, la Vigueur du mouvement, sa vive contraction de l’épine dorsale pour frapper de forts coups de queue. Ce qu’il imite seulement, faiblement, ce sont les nageoires. Ses rames, qui ne sont pas serrées au corps, mais mues au loin par un long bras, sont bien molles en comparaison, et bien promptes à se fatiguer ; Qui répare tout cela ? La terrible énergie de l’homme, et sous ce masque fixe, sa vive raison, qui par éclairs décide, invente et trouve de minute en minute, remédie sans cesse aux périls de cette peau flottante qui seule le défend de la mort.

Très souvent on ne peut passer ; on trouve une barre de glace. Alors les rôles changent : la barque portait l’homme, et maintenant il porte la barque, la prend sur son épaule, traverse la glace craquante et se remet à flot plus loin. Parfois des monts flottans, venant à sa rencontre, n’offrent entre eux que d’étroits corridors qui s’ouvrent, se ferment tout à coup. Il peut y disparaître, s’ensevelir vivant. Il peut, de moment en moment, voir les deux murs bleuâtres s’approchant peser sur sa barque, sur lui, d’une si épouvantable pression qu’il en soit aminci jusqu’à l’épaisseur d’un cheveu. Un grand navire eut cette destinée. Il fut coupé en deux, les deux moitiés écrasées, aplaties.

Ils assurent que leurs pères ont péché la baleine. Moins misérables alors, leur terre étant moins froide, ils s’ingéniaient mieux, avaient du fer sans doute ; peut-être il leur venait de Norvège ou d’Islande. Les baleines ont toujours surabondé aux mers du Groënland :