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assez rapidement à l’un des derniers échelons de l’humanité ; que, même armé, de toutes les ressources que lui prêtent la science, l’industrie, la civilisation moderne, l’homme n’en subit pas moins les actions de milieu, enfin que ces actions se trahissent par leurs effets bien plus promptement et d’une façon beaucoup plus marquée qu’on ne l’admet d’ordinaire. Il n’a pas fallu deux siècles, dix générations, pour transformer le Celte irlandais en une sorte d’Australien ; deux siècles et demi, douze ou treize générations au plus, ont suffi pour substituer le Yankee à l’Anglo-Saxon[1]. Qu’on juge, après cela, des effets qu’ont pu, qu’ont dû produire sur l’homme des séries de siècles, des centaines de générations, alors que les populations entièrement ou à demi sauvages subissaient à peu près sans défense aucune toutes les influences exercées par des terres nouvelles où la nature animale et végétale et les forces physico-chimiques avaient de tout temps régné sans partage. Combien la lutte pour l’existence devait être ici et plus rude et plus meurtrière qu’elle ne l’est de nos jours pour ces voyageurs, pour ces pionniers dont nous admirons pourtant le courage ! Combien les traces de cette lutte devaient être plus profondes et plus durables ! Certes tout lecteur qui aura présent à l’esprit ce que nous ont enseigné les races animales, et qui tiendra compte de toutes ces circonstances de temps et de lieu, ne s’étonnera plus de trouver entre les groupes humains, considérés comme de même espèce, les différences qu’on y remarque ; il sera plutôt surpris qu’elles ne soient pas beaucoup plus grandes encore.

Les polygénistes, qui veulent voir dans ces différences des caractères d’espèce, sont bien forcés de les considérer comme primitives et invariables, car accorder qu’elles peuvent être accidentelles et changeantes, ce serait pour eux convenir de la faiblesse, ou mieux de la nullité des argumens qu’ils empruntent à cet ordre de considérations, — et en réalité ils n’en ont pas d’autres. Or cette nécessité les met en présence d’une alternative dont les conséquences sont en tout cas contraires à leur doctrine. Ou bien ils étendront leurs idées aux autres êtres organisés, afin de faire rentrer l’homme dans des lois générales, et nieront la variabilité de l’espèce animale, comme ont essayé de le faire d’une manière plus ou moins nette quelques-uns d’entre eux[2]), ou bien, tout en reconnaissant que l’espèce animale et végétale peut se modifier ainsi que nous l’avons

  1. La plupart des essais sérieux de colonisation accomplis sur le territoire des États-Unis ne remontent guère qu’à 1620, époque où les puritains commencèrent à peupler le Massachusetts, et ce n’est qu’en 1681 que Penn reçut en don de Charles II la contrée qu’il paya aux indigènes et qui a conservé son nom.
  2. Voyez surtout l’Histoire monumentale des Chiens dans Types of Mankind.