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Le fils de Linné posséda en effet ce petit ouvrage, on en a les preuves, avec les autres manuscrits de son père. Cependant après sa mort toutes les traces en disparurent ; toutes les recherches, soit en Suède, soit en Angleterre, où les papiers et les collections de Linné avaient été transportés, restèrent inutiles. Enfin, vers 1840, le précieux manuscrit fut retrouvé dans la bibliothèque de feu le docteur Acrell, fils d’un professeur d’Upsal, qui avait eu de fréquentes relations avec le fils de Linné. Un certain docteur Ekman, de Calmar, en fit l’acquisition, et le donna à la bibliothèque de l’université d’Upsal.

Nous avons dit que c’était un recueil de notes sans ordre, mais se rapportant à une même idée. Ici on trouve des citations de la Bible, des pères et des auteurs latins classiques, là des anecdotes assez souvent scandaleuses, avec les détails les plus précis, avec la recherche des causes secrètes de telle ou telle affliction qui, du temps de Linné, et fort justement suivant lui, venait frapper certaines familles devant ses yeux. Il y a même quelques poésies, assurément de Linné lui-même, mais qu’il a biffées de sa main. On ne saurait donc se proposer de publier ce livre tout entier. Également éloigné du désir d’une publicité indiscrète que puisse redouter l’honneur d’illustres familles existant encore actuellement en Suède et jaloux du respect dû à la mémoire de Linné, nous ferons connaître seulement ici, d’une part les pages qui montreront le mieux dans Linné l’homme religieux, de l’autre ceux de ses nombreux récits qui, sans offrir le scandale, reproduisent une vivante image des mœurs de son temps et des impressions qu’il en recevait lui-même. Nous n’avons d’autre désir que d’ajouter quelques traits inconnus, nous le croyons, importans à coup sûr et parfaitement authentiques, à une intéressante figure dont nous ne possédons pas encore un entier portrait.

Il y a lieu à une curieuse étude littéraire sur Linné. Son style, souvent élevé jusqu’au sublime, souvent empreint de la plus rare élégance, toujours respirant la vie, ferme et sain, riche de faits et d’idées jusqu’à l’extrême abondance et sobre de mots jusqu’à la concision, reflète dans ses descriptions et ses peintures la fécondité même et la grandeur de la nature. S’il quitte les sujets scientifiques et que, dans sa correspondance ou dans des notes qui nous sont restées, il raconte son mariage, sa vie intérieure, les anecdotes de son temps, ou bien si des occasions solennelles, par suite de ses fonctions universitaires, l’obligent à quelques harangues sur des sujets d’observation générale, ce style conserve une franchise, une naïveté, un enjouement qui s’associent à une élévation habituelle et constante, offrant d’ailleurs dans tous les cas la lecture la plus attachante et la plus variée. Mais il faudrait avant tout qu’on possédât une bonne édition des œuvres de Linné, et celle de Gmelin est loin d’être complète. Comment d’ailleurs espérer de réunir un jour toute la correspondance de Linné ? « Si j’avais autant de mains que la fameuse idole des Chinois, écrit-il quelque part, je n’en