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déesse dans ses retraites les plus cachées, et l’a étreinte aussi fortement, je crois, qu’il est possible.

Ces deux volumes contiennent quelques fragmens de vers ; mais, hélas ! les vers de Maurice ne valent pas sa prose, et avec la meilleure volonté du monde je ne puis les admirer, ni même les goûter. Cette âme si ailée, si rapide et mobile dans la prose, se traîne pédestrement lorsqu’elle parle en vers. Les poésies de Maurice sont écrites dans un système que je crois faux, quoique le point de départ m’en paraisse vrai. D’après ce système, la vérité des choses est identique à leur beauté, et le meilleur moyen de les montrer belles, c’est de les montrer vraies. Les partisans du système partant de ce principe croyaient devoir s’interdire comme faux et entaché de mensonge le langage habituel aux poètes, et s’efforçaient de rendre la poésie des choses au moyen du langage familier. Ce n’était pas par amour de la prose, comme on pourrait le croire, qu’ils pensaient ainsi, mais par amour ultrà-subtil et ultrà-mystique de la poésie. En privant leur muse de tous les instrumens et ornemens dont elle se pare, ils croyaient que la poésie contenue dans les choses se dégagerait plus pure, plus nue ; ils voulaient que les choses parussent poétiques par la force même de la poésie qui était en elles. Cette tentative, aujourd’hui abandonnée et qui était une fausse application des doctrines de Wordsworth, n’a rien produit de durable, si ce n’est les poésies de M. Sainte-Beuve, qui avait précédé dans cette voie la petite école bretonne dont Maurice de Guérin fit partie. Quand il nous arrive par hasard aujourd’hui de relire quelques vers de ces poètes d’il y a vingt ans, il nous semble quelquefois voir la mystique Marie s’efforcer de traduire les contemplations de son âme par le langage de ménagère de la dévote et pratique Marthe. Les vers de Guérin échappent à peine à cet inconvénient par je ne sais quel souffle intérieur ; mais l’enveloppe en est sèche, terne et sans nouveauté.

Voilà Guérin tout entier, tel qu’il nous est révélé par sa correspondance et ce journal qu’on peut appeler une autobiographie véritable. Il n’a pas d’autre histoire en effet que celle de ses sentimens et de ses pensées. Les aventures de sa vie, c’est par exemple la découverte de la mer qu’il fit en compagnie de son ami M. Edmond de Cazalès, bien connu des anciens lecteurs de la Revue, ou un séjour prolongé dans l’habitation paisible d’Hippolyte de La Morvonnais. Le journal de Maurice ne nous apprend rien de ses dernières années ; nous savons seulement qu’il était parvenu à vaincre la timidité que lui inspirait le monde et la défiance par trop humble que lui inspirait son remarquable talent. Ainsi réconcilié avec les autres et surtout avec lui-même, il était enfin en possession du bonheur et en marche vers la gloire, lorsqu’il fut tranché dans sa fleur, dans l’été de 1839, quelques mois seulement après son mariage. À vrai dire, le grand événement de sa vie et le seul qui ait pour nous dans ce journal une importance