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fort transparente de tout ce qui se passait à Constantinople. Les préceptes philosophiques, appuyés d’exemples tirés de l’histoire, provoquaient des comparaisons que chacun pouvait saisir sans peine. À l’éducation efféminée du fils de Théodose par un eunuque, à ce conseil impérial qui semblait un appendice du gynécée, Synésius opposa l’éducation virile des grands hommes de la Grèce et des grands césars de Rome, élevés en plein air, sous la tente, parmi les soldats, dans les campagnes, parmi les paysans, apprenant à connaître le peuple, à l’aimer, à se faire aimer de lui, par la communication des habitudes et des sentimens. Le luxe, les prodigalités de toute sorte dont la cour offrait le spectacle furent aussi l’objet d’un blâme sévère. « Tout cela, disait Synésius, est le fait d’une monarchie barbare, et ne convient point à un gouvernement romain : revenons au vieil établissement de nos pères, à l’antique simplicité, à l’antique discipline ; mais pour cela, prince, il te faudra changer tout ce qui t’environne. Ne t’abuse point, ce que nous voyons ne peut durer. La république est placée, comme on dit communément, sur le fil du rasoir ; Dieu seul et un empereur peuvent la sauver. Réformons-nous, Dieu nous sera propice : toi, prince, tu nous donneras un empereur ! » — Ce fut avec la même austérité de langage qu’il parcourut les diverses parties de sa remontrance : lourdeur des impôts, dépopulation des campagnes, injustices criantes des préposés, abus, oppressions de toute espèce, il ne dissimule rien, n’atténue rien. Puis quand il vient à la question vitale pour l’empire, celle des Barbares, son style s’élève en même temps que grandit son courage ; il dévoile cette mortelle plaie du monde romain ; il la met à nu, il la touche sans ménagement et la fait en quelque sorte frémir sous ses doigts : pourtant il parlait devant des généraux barbares !


« Empereur auguste, s’écrie-t-il, un roi enseigné par la sagesse ne s’enferme pas comme un reclus au fond d’un palais ; il vit libre, au grand jour ; il exerce son corps en développant son intelligence ; il apprend à combattre, il apprend à commander. On ne lui impose point ses soldats, il les choisit, et il les choisit parmi ses sujets, car la garde de la patrie et des lois appartient à ceux qui ont intérêt à les défendre. Ce sont là les chiens dont nous parle Platon, prédestinés à la conservation du troupeau : que si le berger mêle des loups, à ses chiens, il aura beau les prendre jeunes et chercher à les apprivoiser, malheur à lui ! Dès que les louveteaux auront senti la faiblesse ou la lâcheté des chiens, ils les étrangleront, et après eux le pasteur et le troupeau. Un législateur qui confie les armes à ceux qui n’ont pas été élevés sous ses lois, qui n’en ont pas été imbus dès l’enfance, et qu’aucun devoir d’affection n’oblige à les soutenir, n’est pas un législateur sensé. Lorsqu’on songe à ce que peut entreprendre, dans un moment de péril pour l’état, une jeunesse étrangère nombreuse, formée par d’autres lois que nous,