une médiocre chance de succès. Leur besogne, entendez-le bien, n’est pas de chasser avec vous ; sous aucun prétexte au contraire, ils ne doivent faire autre chose que porter vos fusils de rechange, les nettoyer, et dépister l’animal désigné à vos coups, ou ramasser celui que vous venez d’abattre. Il faut cependant qu’ils soient bons tireurs, car le gibier peut apparaître tout à coup près d’eux, votre arme rater, et le temps manquer pour qu’on vous passe un autre fusil. Outre le courage et le sang-froid, qualités précieuses et très rares qualités, reconnaissons-le, il faut encore à ces hommes une constance à l’épreuve contre la fatigue, la faim, la soif ; il leur faut l’habitude du silence, et une allure légère, qui ne laisse guère de trace, n’éveille aucun bruit, ne trouble aucun sommeil. Jamais vos shikarees ne prendront la parole, s’ils sont bien dressés, que pour répondre à vos questions. Le difficile est de les accoutumer à marcher sur vos talons sans mot dire pendant des journées entières, impassibles et prêts à tout. Au moment voulu, il faut que votre arme vous soit remise, tout apprêtée, sans que vous ayez à tourner la tête ou même à quitter du regard l’animal que vous allez tirer. Point important, ce dernier. Dans le jungle, en moins d’une demi-seconde, votre proie disparaît, et en outre il arrive souvent que le regard du chasseur, fermement rivé à celui du tigre ou du lion prêt à l’attaquer, tient en échec l’animal féroce, et tantôt le fait hésiter, tantôt le met en fuite.
Arrivons au tigre maintenant. Si vous êtes assez riche pour entretenir des éléphans dans vos écuries, ou assez puissant pour qu’un rajah vous prête les siens, c’est du haut de ces montagnes de chair, et fort à l’aise dans votre howdah, que vous canardez, en plein jungle, le redoutable mangeur d’hommes. Il est d’autres procédés, plus dangereux et plus à la portée de tous. Vous construisez sur un arbre une de ces plates-formes de branchages qu’on appelle mechauns. Vous y installez un charpoy ou lit de camp. Au pied de l’arbre vous attachez un bouvillon, une chèvre, une brebis, et quand le tigre arrive, alléché par la chair fraîche, ou bien quand, après avoir tué la bête qui sert d’appât, il revient la nuit suivante pour s’en repaître à loisir, on le fusille sans plus de danger que de remords : Toutefois ces procédés élémentaires, ne servent réellement que contre le tigre vulgaire, celui qui n’a pas engagé la guerre avec l’homme. Le man-eater, lui, est trop rusé pour venir rôder aux environs des mechauns. Il faut lui tendre des pièges un peu plus compliqués, et mettre au jeu plus franchement « cette guenille » qui nous est si chère.
Je ne me donne pas, sachez-le bien, pour un chasseur de tigres de la première volée, et je procède ordinairement contre eux par les voies les plus frayées ; mais on n’a pas toujours le choix, témoin