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ques roches volcaniques semblables à de grandes scories à demi voilées par des colonnes atmosphériques vacillantes comme l’air qui repose sur la flamme d’un brasier. Le rayonnement implacable de l’immense surface blanche du désert éblouit les yeux : sous cette lumière aveuglante, tous les objets semblent à la fois revêtus d’une teinte sombre et comme infernale.

C’est à travers ces grandes plaines, habitées seulement par une quantité prodigieuse de lézards aux formes extraordinaires, que passe la route des émigrans. Depuis la découverte de la Californie, des milliers d’hommes y ont perdu la vie ; des bœufs et des chevaux innombrables y sont morts de soif et ont été abandonnés sur le sol. C’est à leurs ossemens épars qu’on reconnaît la vraie direction de la route ; la nuit, on s’arrête de peur de s’égarer quand on n’entend plus résonner de squelettes sous les pas de sa monture.

Le mirage que produit la réfraction des rayons lumineux sur ces plaines de sable et de sel figure parfois les scènes les plus étranges et déforme les objets d’une manière incroyable. M. Remy en raconte un exemple merveilleux :

« Devant nous coulait un fleuve majestueux, dont les bords étaient plantés d’arbres pyramidaux semblables à des peupliers. L’eau en était si belle et si pure, les allées verdoyantes paraissaient si fraîches, que nous donnâmes instinctivement de l’éperon pour atteindre plus vite ces ondes magiques et nous y désaltérer. Bientôt le fleuve s’élargit, déborda ses eaux de tous côtés et forma une mer qui baignait le pied de fantastiques montagnes. Des îles à contours festonnés sortirent du sein de cet océan inconnu, que sillonnaient des vaisseaux de toute forme, dont les blanches voiles se gonflaient sous une brise invisible. Des caps à crêtes sinueuses, déchiquetées, aux flancs creusés de grottes mystérieuses, se détachaient des montagnes comme les arcs-boutans d’une antique cathédrale. Dans une petite anse, sur un coin de ce tableau, d’énormes cétacés prenaient leurs ébats à la surface et faisaient jaillir l’eau en gerbes argentées, pareils aux souffleurs que l’on voit se jouer par un beau soleil sur la côte pacifique du Pérou. Sur le premier plan de ce paysage maritime s’élevaient d’élégantes habitations, dans le style italien, qui semblaient enchâssées dans des massifs d’arbres touffus. Puis c’était une armée en marche, avec son état-major pompeusement équipé, son corps de musiciens, son artillerie, ses escadrons commandés par des chefs ornés de panaches flottans. Des tourbillons de poussière montaient en hautes colonnes vers le ciel et se reflétaient dans le miroir des eaux… »

Quelque aversion que puissent inspirer la doctrine et les mœurs des mormons, il est incontestable qu’ils ont rendu un service immense à la cause de l’humanité et de la civilisation en colonisant ces régions inhospitalières. Cet aride plateau, qui sépare le versant du Pacifique du versant de l’Atlantique, semblait rebelle à toute cul-