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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/153

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qu’on s’éloigne du centre de la ville), devant les yeux du public de l’East-End, les principaux talens de la scène anglaise dans leurs principaux rôles. Des théâtres ainsi conduits exercent très certainement une influence heureuse, et nul ne saurait dire ce qui manquerait à la moralité comme à l’éducation des masses dans certains quartiers de Londres déshérités des autres divertissemens de l’esprit, si jamais ces foyers de lumière venaient à s’éteindre.

À Londres, les salles de spectacle, surtout les anciennes, laissent beaucoup à désirer pour l’architecture et le comfort. On y reconnaît à première vue le caractère d’un peuple plus passionné pour les affaires que pour le plaisir. Les marchands de la Cité, — je parle surtout des marchands de la vieille roche, — fréquentent peu le théâtre. La classe ouvrière anglaise témoigne au contraire pour les représentations dramatiques une sorte de fureur. Il faut voir dans les salles encombrées de l’East-End avec quelle énergie naïve les spectateurs applaudissent la vertu persécutée et honnissent le crime triomphant ! A leurs yeux, l’acteur n’est plus un acteur, c’est bien en chair et en os le personnage bon où méchant qu’il représente. Malheur sous ce rapport à celui qui joue les rôles de traître ! Un pauvre acteur errant nommé Melmoth n’avait eu qu’un succès dans sa vie. Il est vrai que c’était en Écosse, où il venait de personnifier le caractère de Monteith dans le drame de Wallace, le héros national. Il joua cette fois avec tant de naturel et de vérité qu’il s’attira la haine de tout l’auditoire. Des jeunes gens l’attendirent au coin d’une rue après le tomber du rideau et lui administrèrent une sévère correction. L’acteur battu, content et fier, racontait volontiers cette aventure, disant que c’était le plus beau compliment qu’il eût jamais reçu. La même chose faillit arriver, il y a quelque années, sur un petit théâtre de Londres, à un autre acteur qui représentait un officier autrichien et qui avait le malheur de ressembler au général Haynau.

Après avoir passé en revue les anciens grands théâtres et ceux qui se sont élevés depuis 1832 sur les ruines du privilège, ne sommes-nous point conduit à la même conclusion, la décadence du drame anglais ? Le caractère de cette décadence demande pourtant à être précisé. La proportion des théâtres eu égard à la population est aujourd’hui plus élevée dans la ville de Londres qu’elle ne l’a jamais été. On y joue aussi plus de drames qu’autrefois ; mais dans la plupart de ces œuvres effacées, médiocres, le plus souvent même empruntées à l’école française ou allemande, qui oserait chercher les grands traits du drame élisabéthien ? On s’est demandé quelle pouvait être la cause d’une stérilité qui forçait de descendre jusqu’au plagiat. J’entends généralement dire en Angleterre que si la littérature