Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/249

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tombeaux à cause des innombrables collines tumulaires qui la couvrent.

Le soleil du 24 février n’apparaissait pas encore à l’horizon, lorsque la petite armée française défilait devant la pagode du Caï-haï et entrait dans la plaine des Tombeaux. Au même moment, les gros canons placés dans les diverses pagodes commencèrent à lancer leurs énormes boulets contre les forts qui les premiers devaient être attaqués ; mais bientôt les pagodes durent changer la direction de leur tir. Les troupes, sentant la bataille, avaient marché vite, et peu de temps après leur entrée dans la plaine des Tombeaux, on avait pu les voir se déployer en ordre de combat devant le premier fort ennemi. Bientôt les clairons sonnaient la charge ; au même instant, toute la ligne des troupes s’ébranlait et se portait d’un élan vigoureux en avant.

Il y avait devant les forts des Annamites une estacade en bambous haute de cinq pieds. Les branches de bambou, aux lignes tourmentées, auraient suffi pour former, en s’entrelaçant, des haies presque impénétrables ; mais les Annamites ne s’étaient pas contentés d’opposer de simples haies à l’attaque de leurs ennemis : chaque extrémité de branche de bambou avait été effilée et présentait à celui qui aurait voulu s’en servir comme d’un appui une pointe dure et aiguisée comme celle d’une lance. Derrière l’estacade s’étendait une surface en apparence parfaitement plane, mais qui en réalité était criblée de trous de loup, garnis de bambous taillés en pointe ; puis venaient une seconde estacade semblable à la première, derrière celle-là un fossé profond de cinq pieds, et dont le fond et les parois étaient revêtus de bambous travaillés comme ceux des estacades et des trous de loup. En sortant de ce fossé, on était encore séparé de la muraille du fort par une haute ligne d’excellens chevaux de frise ; enfin, pour monter sur la muraille et pour en atteindre la crête, il fallait se frayer un chemin dans une véritable forêt de lames de bambou dont les pointes étaient dirigées dans toutes les directions.

Les estacades, les trous de loup, le fossé, les chevaux de frise, la muraille, et derrière cette muraille une troupe ennemie très bien armée, tout cela ensemble présentait des obstacles difficiles à franchir, à renverser et à repousser ; mais la fièvre du combat donne des forces surhumaines. Comment les Français et leurs valeureux alliés les Espagnols s’y prirent-ils pour briser les estacades, franchir la plaine aux trous de loup, passer le fossé, écarter les chevaux de frise et escalader la muraille ? C’est ce que je ne saurais dire ; ce qui est certain, c’est que la charge avait été sonnée à peine depuis quelques minutes, quand on vit le drapeau français flotter sur le fort ennemi, et les fuyards annamites s’en éloigner avec une rapidité qui rendait vain tout espoir de les atteindre. Ce premier et brillant succès n’avait cependant été obtenu qu’au prix de sérieux sacrifices. Quarante morts et blessés, tant Français qu’Espagnols, étaient restés sur le, champ de bataille, et parmi eux le général Vassoigne et le colonel Palanca y Guttures, deux chefs qui jouissaient de toute la confiance des hommes placés sous leur commandement et qui auraient été d’un grand secours à l’amiral Charner pour mener l’expédition à bonne et prompte fin.

De neuf à trois heures, les troupes se reposèrent pendant que les quatre pagodes occupées par les Français ne cessaient de bombarder les nombreux