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forts qui restaient encore au pouvoir des Annamites. Le tir fut excellent et causa de grands dommages à l’ennemi. Le lieutenant de vaisseau Turin, commandant la batterie du Caï-haï, fut particulièrement heureux et parvint en peu de temps à faire taire une batterie annamite qui s’était avisée de vouloir troubler le repos de l’armée française. À trois heures, les troupes se remirent en marche, et à six heures et demie deux autres forts annamites, les derniers qui défendaient au sud les abords de la citadelle de Ki-oa, étaient occupés à leur tour.

La journée du 24 février, quoique chaude et sanglante, n’avait cependant été que le prélude de la véritable action. Tout le monde savait que c’était à la citadelle de Ki-oa que les Annamites avaient concentré leurs principales forces, et que c’était là que ces ennemis sauvages avaient réuni tous les moyens de défense dont ils pouvaient disposer. Quoique n’ignorant pas l’importance attachée par les Annamites à la forteresse de Ki-oa, l’amiral Charner n’avait fait pousser de ce côté que des reconnaissances fort incomplètes, et ni lui ni son état-major ne pouvaient savoir exactement comment et où il fallait attaquer, ni de quelle nature seraient les obstacles qu’ils trouveraient à vaincre : Était-ce une faute ? J’en doute fort, et je me range au contraire entièrement du côté des partisans de la tactique suivie par l’amiral. Avec les peuples d’Orient, Il ne faut pas vouloir lutter de ruse et de finesse ; ils seront sur ce terrain toujours nos égaux, et très souvent nos supérieurs. Ce qui leur manque, c’est le courage personnel, ou plutôt le courage discipliné des troupes européennes. On ne surprendra que tout à fait exceptionnellement un corps de soldats annamites : ils ont la vigilance de la bête fauve ; mais ce qui les a toujours effrayés et culbutés, c’est l’impétuosité d’une franche attaque au grand jour. Ils ne comprennent pas l’esprit qui fait mouvoir une armée comme un seul homme, et cette force qui ne recule devant aucun obstacle les remplit d’une épouvante qui va jusqu’au vertige ; L’amiral Charner aurait certainement pu réussir à connaître le fort de Ki-oa plus exactement qu’il ne le connut au moment de l’attaque, et, en donnant alors l’assaut avec pleine connaissance des lieux, il aurait peut-être pu économiser la vie ou la santé d’une cinquantaine d’hommes ; mais, pour arriver à ce résultat, il aurait fallu accomplir plusieurs fortes reconnaissances, et on ne peut guère admettre que les Annamites eussent permis aux Français de se rapprocher de leurs positions sans en tuer et sans en blesser un certain nombre. Puis, en Cochinchine, le soleil est plus redoutable encore que l’ennemi, et chaque jour que les Européens passent en campagne amène pour quelques-uns la fièvre, l’affaiblissement pour tous. Enfin il n’eût pas été habile de donner aux Cochinchinois l’habitude de combattre des Français. Si, pendant cinq ou six jours, les Annamites avaient échangé des coups de feu avec des colonnes envoyées en reconnaissance, il est évident que l’attaque réelle ne les aurait pas effrayés et surpris comme elle le fit. Quoi qu’il en soit, et que ce fussent là ou non les considérations qui guidèrent l’amiral Charner dans sa manière d’agir, ce qui est certain, c’est qu’il ne laissa passer qu’une nuit entre la journée du 24 février et l’attaque des forts de Ki-oa. Le 25 février au matin, avant le lever du soleil, toute l’armée française fut sur pied, et dès cinq heures les canons commençaient à tonner contre les murailles de Ki-oa. Les Annamites ripostaient