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Le sentiment de la pudeur, si naturel aux Européens, semble échapper complètement à ce peuple, et c’est un sujet unanime d’étonnement pour les voyageurs que l’aspect des bains publics, où les sexes et les âges sont confondus pêle-mêle dans une nudité absolue.

Les employés qui montent à bord ont mission de savoir des étrangers le motif de leur visite, mais ils ne s’opposent plus à ce que ceux-ci descendent à terre et circulent librement. On prétend que le gouvernement veut adopter dans le port de Nagasaki des mesures plus libérales que dans les autres pour y attirer de préférence les étrangers. Décima, tout près de Nagasaki, n’a plus autant qu’autrefois l’aspect d’une prison ; on y trouve plus d’activité et de mouvement. L’îlot dans lequel les Hollandais ont si longtemps végété, à la porte du Japon, est traversé par une rue unique, longue de deux cents mètres, propre et bien soignée ; les maisons ont deux étages et sont ornées de volets verts. Le poste des ottonas, espions chargés de surveiller les moindres mouvemens des employés de la factorerie, a été supprimé ; mais le soir on ferme encore les grilles, et il est toujours interdit aux femmes autres que les prostituées de les franchir. Les enfans nés de ces femmes à Décima étaient considérés comme Japonais ; l’agent hollandais a récemment obtenu qu’il fût permis de les élever en Hollande, à la condition toutefois que s’ils revenaient au Japon, ils seraient traités en étrangers. À une extrémité de l’îlot se dresse un large bazar bien approvisionné, mais dont les marchandises, fabriquées pour l’exportation et en vue des Européens qui visitent ce port, sont de qualité fort inférieure à celles que l’on se procure dans les autres parties de l’archipel. Si les Hollandais de Décima sont moins durement traités aujourd’hui que naguère, en revanche ils ont le déplaisir de n’être plus seuls ; ils ont vu les Russes obtenir la concession d’un emplacement vis-à-vis d’eux, de l’autre côté de la rade, où s’élèvent déjà de nombreux travaux d’installation. Des hauts-fourneaux y ont été construits, et un colonel du génie y réside à poste fixe avec quelques officiers. Le général Montauban, dans une rapide excursion qu’il a faite à Nagasaki et à Osaka après l’expédition de Chine, a personnellement vu cet établissement naissant, où les Russes paraissent se proposer d’établir un dépôt de houille et d’exploiter quelques-unes des richesses métallurgiques du pays. Quant à notre commerce, il n’est pas complètement nul sur ce point du Japon ; il y est représenté par deux négocians français[1].

  1. Dans le compte-rendu de sa courte visite, le général Montauban représente la mer de Suwonada comme un bassin calme, assez semblable au lac de Genève. Entre cette appréciation et les précédens récits, il y a une contradiction que de prochains visiteurs ne tarderont sans doute pas à éclaircir.