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d’action imposent silence à toutes les préoccupations de la pensée. Elpis Meleria n’est pas seule à éprouver cette ivresse, et quand elle se peint elle-même sous le toit de Garibaldi, adorant Garibaldi, voyant Garibaldi partout et n’ayant des vœux que pour son triomphe, on peut dire qu’elle exprime assez fidèlement un certain état de l’Europe en face des transformations qui se préparent.

Me pardonnera-t-on de terminer par des réflexions graves l’étude d’un livre où j’ai cherché avant tout le charme des révélations familières ? Si ma conclusion ne faisait que reproduire le ton dominant de ces aimables pages, il me semblé que je manquerais à ma tâche. La critique ne doit pas se borner à mettre en relief les apparitions originales du temps où nous vivons ; elle est tenue de juger les œuvres où ces signes se manifestent et de les compléter en les jugeant. Or, sans prétendre blâmer avec trop de rigueur l’espèce d’indifférence que révèle, le dilettantisme d’Elpis Melena, il est permis de ne pas oublier ce qu’ont de délicat les questions auxquelles nous ramène nécessairement le sujet qu’elle a traité. Pour ne citer qu’une seule de ces questions, il ne faut pas oublier que les intérêts politiques se compliquent ici des intérêts religieux, et que la régénération de l’Italie suppose par exemple une régénération intérieure de l’église catholique. Or, si l’on en juge par les polémiques dont nous sommes témoins, combien peu de cœurs sont préparés a ces épreuves ! combien peu d’âmes sont capables d’apprécier les avantages d’une vie plus spirituelle et d’une liberté plus virile ! La foi de nos jours, même la plus vive, est pusillanime et peureuse. Fénelon en 1711, dans le plan de gouvernement qu’il traçait pour le duc de Bourgogne, affirmait des principes et exprimait des vœux qui scandaliseraient aujourd’hui une grande partie des catholiques. Ses curieuses notes sur l’église renferment tout un programme libéral. Après avoir défini la puissance temporelle et la puissance spirituelle, il soutient qu’une église simplement permise et autorisée dans un pays y est plus libre qu’une église d’état. Il va jusqu’à souhaiter cette situation à la France, et il en attend pour l’église maintes libertés qui lui manquent. Il comprenait bien que les avantages temporels pouvaient devenir une servitude, celui qui s’écriait dans son Discours pour le sacre de l’électeur de Cologne : « Plutôt que de subir le joug des puissances du siècle et de perdre la liberté évangélique, l’église rendrait tous les biens temporels qu’elle a reçus des princes. » C’est aussi dans le même esprit qu’il citait ces fières paroles de saint Ambroise : « Qu’on ne nous rende point odieux par la possession où nous sommes de ces terres ; qu’ils les prennent, si l’empereur le veut : je ne les donne point, mais je ne les refuse pas. » Cet affranchissement qui paraissait désirable à Fénelon, cette église