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d’épaisses forêts dont il ne reste presque plus rien aujourd’hui. Les bois ne disparurent que fort lentement, et les conquêtes de la charrue ne s’étendirent rapidement que vers la fin du siècle dernier. À cette époque, plus de 100,000 hectares, c’est-à-dire le tiers de la province, furent défrichés et convertis en terre arable. Par suite du prix croissant des denrées alimentaires, ce mouvement a continué de nos jours, et maintenant le pays est à peu près déboisé.

Naguère encore, dans toute la région hesbayenne, habitée par la population wallonne, dominaient l’assolement triennal et la grande culture. Un savant ecclésiastique du XVIIIe siècle, qui s’était occupé avec succès des sciences naturelles et de l’agriculture en Belgique, l’abbé Mann, nous a laissé une peinture naïve de la vie patriarcale des cultivateurs aisés du Brabant wallon et du Hainaut à cette époque. « Dans ce pays, dit-il, les fermiers sont riches, bien logés, bien nourris, mangeant comme des patriarches à une longue table, le père de famille et sa femme au haut bout avec leur bouteille de vin, les enfans et les domestiques au bas bout. Le fermier se promène à cheval dans ses terres, donnant de l’ouvrage aux manans à sa volonté et les tenant dans sa dépendance, au point que l’ouvrier qui lui aurait déplu serait obligé d’abandonner le canton faute d’ouvrage. Ces gros fermiers sont heureux, mais les manans qui en dépendent sont dans la servitude. » Ces traits de mœurs, qui portent encore l’empreinte de l’époque féodale et qui rappellent les conditions de la vie rurale dans certains comtés anglais, se sont grandement modifiés de-nos jours. Le type du gentleman farmer est devenu plus rare, mais les ouvriers agricoles, les manans, comme dit l’abbé agronome dans la langue de son temps, se sont émancipés, et grâce aux nombreux emplois que leur offre le développement de l’industrie, ils ont cessé d’être dans la dépendance de leurs maîtres. Leur salaire s’est élevé, car le nombre de ceux qui consacrent leurs bras à l’agriculture est souvent si restreint qu’il a fallu renoncer à presque toutes les cultures qui exigent beaucoup de soins et de main-d’œuvre.

Tandis que l’antique bannière du pays de Waes, « d’azur à la rape (navet) d’argent en naturel, » portait dès le moyen âge l’image de la racine fourragère qui avait fait la richesse de la contrée, tandis que dans le Brabant flamand la jachère avait disparu depuis longtemps, le repos trisannuel de la terre était encore une coutume générale dans tout le Brabant wallon, le Hainaut et le Namurois, vers la fin du siècle dernier. Humiliés du contraste que présentait la culture de leur province avec celle de la Flandre, les états du Hainaut, qui attribuaient cette infériorité si marquée à la trop grande étendue des exploitations, obtinrent en 1755 de l’impératrice Marie-Thérèse une ordonnance qui limitait la grandeur des fermes à soixante-dix