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d’efforts pour remplir l’ordre que l’empereur t’a donné. Il vient de m’écrire à ce sujet… Sa lettre finit par ces mots : La France avant tout ! La France a besoin de tous ses enfans. Viens donc, mon cher fils ; jamais ton zèle n’aura mieux servi l’empereur. Je peux t’assurer que chaque instant est précieux. » Une lettre de la reine Hortense à son frère, datée du lendemain, est plus remarquable encore. « Je t’envoie, dit-elle, la lettre de l’empereur à l’impératrice et la réponse de notre mère. Je ne comprends rien à tout cela… Ce qui prouve bien que l’empereur ne comptait pas sur toi pour venir en France, c’est que, d’après sa lettre, il dit ne t’avoir ordonné de quitter l’Italie que quand le roi de Naples lui déclarera la guerre, et cette guerre, à laquelle il devait s’attendre depuis longtemps, je parie qu’il s’est toujours fait illusion et ne l’a jamais crue possible… Tu vas te trouver dans un grand embarras… Suis ta tête, elle te fera mieux juger ce qu’il faut faire étant de près, et je suis sûre que tu suivras toujours ton cœur en faisant ce qui sera le mieux pour servir l’empereur. »

Le vice-roi avait écrit, dès le 16 février, au duc de Feltre qu’il se conformerait aux ordres dont on lui renouvelait l’expression, qu’aussitôt que Murat aurait jeté le masque, il commencerait son mouvement de retraite, qu’il l’opérerait d’ailleurs le plus lentement possible, à moins que la présence de son armée étant jugée absolument nécessaire en France, on ne lui donnât l’ordre positif de s’y porter sans retard, mais qu’en tout cas, en rentrant en France, il ne lui serait guère possible, comme il l’avait déjà expliqué à l’empereur, d’y amener plus du tiers de cette armée, c’est-à-dire, environ douze mille hommes.

Dans une lettre écrite le surlendemain à l’empereur lui-même, le prince Eugène ne dissimula point le sentiment pénible que lui faisaient éprouver des procédés qui semblaient mettre en suspicion son zèle et son obéissance. Il expliqua avec beaucoup de clarté et de logique que, l’ordre qu’il avait reçu étant subordonné à une condition non encore accomplie, il n’avait pu encore y donner suite ; que cependant, par les positions qu’il avait fait prendre à ses troupes, il s’était mis en mesure de l’exécuter dès qu’il y aurait lieu ; que Murat hésitait encore, et semblait par momens disposé à revenir à la cause pour laquelle il avait si longtemps combattu. Il fit voir qu’eût-il interprété autrement les intentions de l’emperfur, se fût-il décidé à repasser immédiatement les Alpes, laissant dans les forteresses l’armée italienne proprement dite et très certainement abandonné par les soldats d’origine romaine, suisse, toscane et piémontaise, même par les Savoyards et les Genevois, il aurait tout au plus amené à la défense de la France dix mille combattans suivis de près par les soixante-dix mille- Autrichiens du maréchal de Bellegarde,