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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/853

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dit-elle, passez-moi votre enfant. — Non, non, répondit Mathews en imitant la voix et la prononciation d’une Française ; ma petite Adolphine ne se séparera point de sa maman. » Sur quoi recommença un charivari de notes basses et aiguës entre la mère, qui voulait calmer l’enfant, et l’enfant, qui criait de plus belle. Comme l’alliance cordiale entre l’Angleterre et la France n’existait guère alors, les Anglaises ne manquèrent point de s’indigner contre la barbarie de cette femme française assez égoïste pour compromettre la vie de son nouveau-né. On accusa même de cette dureté de cœur la révolution française, qui avait perverti chez nous la nature humaine. Cependant, sans se laisser désarmer par les résistances de cette mauvaise mère, les ladies crièrent au conducteur d’arrêter les chevaux ; mais celui-ci refusa net, disant qu’il était lui-même trempé jusqu’aux os, et qu’il avait besoin de toute sa présence d’esprit pour ne pas perdre sa route dans une telle nuit. Alors un dialogue véhément s’engagea entre les voyageurs et la femme que l’on croyait placée sur l’impériale ; mais celle-ci menaça de jeter son enfant sur le chemin, si le petit ne s’apaisait point. On crut entendre enfin le bruit d’une chose qui tombe, puis un cri, et le silence se fit. L’horreur était au comble. Quand la diligence s’arrêta devant une auberge, Mathews descendit lestement de l’impériale et se glissa dans la cuisine pour se sécher au feu de la cheminée. On chercha partout la Française, et l’on alla même avec des lanternes allumées à la découverte de l’enfant que l’on supposait être gisant dans un des fossés de la route. Le magistrat de l’endroit accourut pour dresser procès-verbal ; mais Charles Mathews l’informa que la femme avait disparu et que c’était lui qui était seul responsable devant la loi. Cet étonnant acteur donnait à Londres, dans les derniers temps de sa vie, des représentations où il remplissait à lui seul toute la scène et amusait le public durant la soirée entière en imitant une foule de caractères et en prenant toute sorte de figures.

Son fils Charles Mathews, sans hériter des mêmes dons, est un acteur comique d’un rare talent. Comme on le destinait à la profession d’architecte, il voyagea tout jeune sur le continent, où il apprit quelques langues étrangères et fréquenta la meilleure société. Ce n’était pas pour rien toutefois qu’il avait du sang de comédien dans les veines, et dès l’âge de dix-huit ans il débutait à l’English Opera house pour le bénéfice d’un ami. Cet acteur a passé toute sa vie dans ce que les Anglais appellent les eaux bouillantes ; cela veut dire qu’après avoir fait plusieurs fortunes il les a toutes mangées l’une après l’autre, qu’il s’est vu depuis ce temps-là la proie des usuriers et des hommes de loi, qu’il a passé devant plusieurs cours pour arranger ou déranger ses affaires, et qu’il a soutenu pendant