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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/854

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des années une lutte homérique contre les baillifs, — gardes du commerce. Au moment où ceux-ci l’attendaient dans la coulisse pour l’arrêter à la fin de la représentation, il s’esquivait par l’orchestre, traversait la salle enveloppé dans un manteau, et se mêlait à la foule, qui sortait alors du théâtre. Un camarade lui conseillait un jour de prendre un économe pour mettre de l’ordre dans ses finances. « Je l’ai fait, répondit-il ; j’ai pris à mon service un des meilleurs compteurs de la Cité et un régisseur habile : eh bien ! la conséquence a été qu’au bout de deux mois il me manquait 25,000 fr. de plus dans ma caisse ; le drôle s’est vanté plus tard de me les avoir volés sans que je m’en aperçusse. » Charles Mathews a été marié deux fois : une première fois, en 1838, à Mme Vestris, et une seconde fois, en Amérique, à mistress Davenport, la femme d’un autre acteur anglais de mérite, avec lequel elle avait divorcé. Malgré ses extravagances, Charles Mathews est un homme généralement aimé, même de ses créanciers, qui lui pardonnent volontiers, dit-on, à cause de son esprit et de sa belle humeur. Comme acteur comique, son style est véritablement sui generis ; rien ne ressemble sur la scène anglaise à la volubilité de sa parole, à l’activité de son jeu, qui ne laisse point un instant languir le spectateur, à l’aisance et à la familiarité de ses manières, toujours distinguées. Jusqu’ici Charles Mathews diffère de la plupart des comédiens de son pays, et se rapprocherait plutôt de l’école française ; on peut même soupçonner que Mme Vestris n’a point été étrangère à la direction de ses études théâtrales. À côté de cela, il personnifie admirablement ce que nos voisins appellent froid comme un concombre, cold as a cucumber. Véritable type de l’Anglais plaisant, il fait rire les autres sans jamais rire lui-même. Ce flegme impénétrable, cette froide assurance qui ne ressemble point du tout à notre effronterie française, cet aplomb persévérant qui ne se dément et ne s’ébranle devant aucune difficulté, sont autant de traits qui caractérisent bien à la fois l’acteur et la race anglo-saxonne. Comme plusieurs de ses confrères, Charles Mathews écrit ou du moins adapte pour lui-même quelques-unes des pièces où il joue le principal rôle.

Outre la comédie, les Anglais ont un autre genre qui a fait fureur sur la scène dans ces derniers temps, pour lequel le petit théâtre du Strand s’est acquis une réputation incontestable, et qui a reçu le nom de burlesque. Cette forme de pièce est la comédie d’à-propos ; elle porte sur des ridicules d’un jour, quelquefois même sur des. caractères invraisemblables ou qui forment du moins une exception dans la société. J’avoue n’avoir point un goût immodéré pour ce genre de farces, mais je comprends qu’en l’absence de drames et de comédies ayant une valeur littéraire, les burlesques, soutenues par la musique, la danse, le jeu des acteurs, le luxe des