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La vie des acteurs en général ne présente-t-elle point dans la Grande-Bretagne quelques traits intéressans ? C’est ce que nous allons voir en étudiant les comédiens anglais dans leurs rapports avec le monde et le théâtre.


III

Un fait me frappe quand je compare la condition sociale des acteurs en Angleterre à celle qu’ils occupent sur le continent dans les états catholiques. Je remarque chez nos voisins que la profession théâtrale n’est point excommuniée par l’église. À première vue, cette différence semblera peut-être secondaire ; mais il n’en sera plus de même si l’on réfléchit à l’influence qu’exerce partout l’ordre religieux sur l’ordre civil. Qui oserait soutenir que, même au XIXe siècle, même après Voltaire et Rousseau, nos mœurs, nos préjugés et nos usages soient étrangers à nos anciennes croyances ? Eh bien ! non-seulement les comédiens anglais ne se trouvent séparés par aucune limite de l’église protestante, mais encore ils sont généralement bien vus par la partie éclairée du clergé national. Un théologien d’outre-mer a fait observer que saint Paul lui-même n’avait point craint de citer devant l’aréopage un vers des anciens tragiques grecs : :[1], rendant ainsi hommage à l’action civilisatrice du théâtre. Qui ne saisit la valeur de cet argument dans un pays où la Bible fait autorité ? L’année dernière, un membre de l’église anglicane, le révérend J. G. Young, présidait le meeting par lequel on célèbre ici la naissance de William Shakspeare. Le buste du grand auteur dramatique et de l’acteur figure d’ailleurs dans l’église de sa ville natale, Stratford-sur-Avon. Un autre clergyman, le révérend Sydney Smith, faisant allusion aux prétendus dangers du théâtre, demandait en riant si c’était un bon système hygiénique de ne jamais prendre l’air sous prétexte qu’on craignait d’attraper un rhume. Plusieurs grands acteurs, tels que John Kemble, ont compté des amis intimes parmi les ministres de l’église réformée. Charles Young vivait presque comme un membre de la famille chez l’évêque de Bath. Aujourd’hui même, dans les provinces, les chefs des cathédrales ne croient point déroger à leur dignité ecclésiastique en assistant avec une sorte de caractère officiel aux représentations du théâtre. Dans plus d’une occasion, la scène a offert de son côté ses aumônes et ses services au clergé anglican, qui ne les a jamais refusés. Une représentation dramatique donnée au Drury-Lane Theatre il y a quelques années jeta les fondemens de la société qui existe maintenant en Angleterre pour la propagation des Évangiles. C’est également un acteur qui institua le Dulwich College, œuvre

  1. In ipso vivimus, et movemur, et sumus.