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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/942

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est gonflé de gâteaux qu’elle dévore pendant la classe. Hannah Martin, tel est son nom. — L’autre est Laetitia Forrester, brunette aux joues animées ; mainte rougeur y va et vient. Ses yeux errent volontiers ça et là, mais elle les baisse fréquemment. Parfois maussade, elle s’emporte souvent, et ses colères vont loin. — Voici maintenant Charlotte-Anna Wood, la muse déjà nommée… Longues boucles blondes, visage pâle, yeux d’azur. Enfant délicate, incomplètement épanouie, elle recherche la solitude, lit énormément, souligne volontiers les passages qui l’ont frappée, écrit beaucoup de vers, très vite, mais sans correction ; ils expriment dans des formes de convention des sentimens généraux. La vitalité chez elle est au-dessous de la moyenne. La sensibilité n’y a pas son enveloppe, sa cuirasse, normale, condition négative que le vulgaire confond avec le génie ; le génie parfois en résulte.

Après ces trois-là, bien d’autres arrivèrent, seules, deux à deux, ou par groupes. Puis on entendit dans le couloir un pas léger. La maîtresse d’étude regarda de ce côté. Le jeune professeur surprit ce regard, et le sien se détourna dans la même direction.

Une jeune personne d’environ dix-sept ans entra dans la salle. Elle était grande, mince, souple, avec ces ondulations innées qu’on rencontre plus souvent chez certaines beautés champêtres, richement douées par la reine des grâces, la bonne et prodigue nature, que chez les demoiselles de haut rang, destinées et préparées à briller dans les salons. Elle était d’une beauté splendide et sinistre. Son costume, d’étoffe mouchetée, avait une coupe toute particulière, et son écharpe, en poil de chèvre, était jetée autour d’elle avec un laisser-aller capricieux. Une fois assise, un peu à l’écart des autres, elle se mit, habitude qui lui était familière, à jouer négligemment avec sa chaîne d’or, dont elle entourait et dépouillait tour à tour son poignet mince, ou qu’elle roulait autour de ses doigts allongés. Un moment elle leva les yeux, des yeux noirs, perçans, mais ni grands ni ouverts. Le front était bas, comme celui de la Clytie antique. Ses cheveux noirs étaient tordus en nattes épaisses ; mais comment décrire ce visage qu’on se sentait comme contraint à regarder, dont ensuite, à cause de son expression particulière, on voulait détacher son regard, et qu’on ne pouvait abandonner à volonté, retenu qu’on était par ces yeux de diamant ? Ils étaient alors fixés sur la maîtresse d’étude. Celle-ci essaya de porter son attention sur les jeunes écolières assises autour d’elle ; mais il lui fallait, de toute nécessité, revenir à ce visage sombre qui l’attirait comme un abîme. Les yeux de diamant la contemplaient toujours. Helen ouvrit plusieurs volumes, affectant de chercher un passage à lire, et, quand elle crut en avoir fini avec cette obsession, jeta un coup d’œil, un seul, vers