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taux se portent avec surabondance sur le point où la spéculation les appelle; les prix s’élèvent avec exagération ; on paie la matière première et la main-d’œuvre trop cher, au détriment des autres matières premières et des autres bras. Il y a un moment d’exaltation où le spéculateur se croit dans une période de prospérité sans limites. Tout à coup, au premier choc que reçoit la spéculation, la débâcle éclate, et alors viennent l’avilissement des prix et le chômage des ouvriers. C’est cette perspective de la question économique que le gouvernement, nous le craignons, n’a pas eue assez présente à l’esprit en voulant tout entreprendre et tout achever en si peu de temps. Nous souhaitons que l’événement démente nos appréhensions; mais en tout cas le public se servira lui-même et servira le gouvernement en modérant par ses avertissemens, en refrénant par une opposition salutaire l’ardeur excessive que le gouvernement apporte dans le remaniement des villes, et l’excitation artificielle qu’il donne ainsi à la spéculation et à l’industrie des constructions. Cette intervention de l’opinion, comment devrait-elle s’exercer? Cette opposition, comment pourrait-elle être efficace? Nous touchons ici à la question politique soulevée par les embellissemens de Paris. Contre les erreurs possibles de l’initiative administrative, il ne peut, en une telle matière, exister pour l’opinion qu’un seul frein, un seul contrôle, le contrôle des administrés s’exerçant par leurs représentans élus. Au lieu d’une commission municipale nommée par l’administration elle-même, il faudrait un conseil municipal élu par les habitans de Paris.

Ce n’est que par ce moyen que l’opinion pourrait s’associer franchement à l’œuvre poursuivie par l’administration, ou résister à des entraînemens dangereux. M. Haussmann, dans son discours à l’empereur, se plaint des erreurs et des injustices que l’opinion commet à son égard. Les plaintes de M. Haussmann, nous n’en voulons pas douter, sont fondées; mais c’est le régime exceptionnel de la municipalité parisienne bien plus que les préventions de ses adversaires que M. le préfet de la Seine devrait accuser des injustices commises à son endroit. Tant que le public parisien ne sera pas associé aux actes de l’administration par une représentation librement élue, tant qu’il demeurera passif devant l’initiative de cette administration, il est naturel qu’il demeure envers elle frondeur et défiant. Quoi qu’en pense M. Billault, il faut, comme disait M. Picard, rendre Paris aux Parisiens. On se vante, et nous ne nous en plaignons pas, de nous doter d’un West-End; puisqu’on est en veine d’imitation, qu’on nous permette d’avoir nos aldermen, et nous promettons à notre lord-maire qu’il n’aura rien à perdre en popularité. M. Haussmann s’est livré dans sa péroraison à des rapprochemens historiques qui nous autorisent à émettre ce vœu politique. Il nous est impossible de voir une flatterie adroite dans les réminiscences où l’on assimile le régime de la France actuelle au funeste empire des césars. M. le préfet a cru relever l’édilité moderne en la comparant à l’édilité romaine.