Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/101

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— Je le crois sans peine, reprit Dudley ; mais miss Helen Darley va devenir ma femme… J’ai cru convenable de vous prévenir à temps que vous ne deviez plus compter sur elle.

— Alors double démission !… s’écria Bernard Langdon, car je ne resterai pas cinq minutes de plus sous les ordres d’un homme capable de rédiger un petit compte pareil à celui-ci.

— Donnez, je vous prie, donnez-moi cette note, disait cependant M. Silas Peckham, qui commençait à regretter sa bévue… Un simple mémorandum… A revoir, à rectifier.

— Les trustees en jugeront à la prochaine séance du comité, répondit Dudley Venner, qui fort tranquillement glissa le papier dans sa poche, après qu’une rapide lecture l’eut mis au courant du contenu…..


Quinze jours plus tard, Bernard Langdon vint reprendre sa place parmi mes élèves. Il était beaucoup plus sérieux que je ne l’avais jamais connu. Et comme je m’avisai de le questionner sur l’emploi de son temps depuis son départ, il me raconta l’histoire qu’on vient de lire. S’appliquant à ses études avec une énergie peu commune, il trouva ensuite le temps, tout en préparant ses examens, de concourir pour les prix annuels qu’on accorde aux meilleures dissertations écrites. Par deux fois un vote unanime les lui décerna, et de ceux qui ont lu sa thèse sur les Nébuleuses de la Biologie, pas un ne dira qu’il ne les avait pas légitimement gagnés.

Ses degrés pris, le nouveau docteur vint me consulter sur ses premiers pas dans la carrière, qui souvent décident de tout un avenir. Ne calculant que ses ressources actuelles et d’ailleurs animé des sentimens les plus généreux, Bernard voulait aller s’établir dans un des faubourgs de la ville où venaient de s’achever ses études. L’idée de se consacrer aux pauvres souriait à sa témérité philanthropique. Je lui parlai un langage plus positif.

— Soignez, lui dis-je, et soignez pour rien les pauvres qui viendront à vous,… ceci est tout simple ; mais ne limitez pas de gaieté de cœur vos vues et vos espérances à une ambition de second ordre. Vous n’êtes pas fait, vous, pour la clientèle de faubourg. Plantez votre tente au milieu du quartier riche. Dans ces magnifiques hôtels habitent des gens qui valent au fond tout autant que d’autres, et avec lesquels il est infiniment plus agréable d’avoir des relations. Il leur faut bien un médecin, et justement ils préfèrent un médecin gentleman. Regardez-vous au miroir : vous verrez que vous faites admirablement leur affaire… Ne méprisez donc pas vos chances de succès, ne vous évaluez pas à trop bon marché !… Songez d’ailleurs à l’avantage d’avoir des cliens qu’on peut sans le moindre scrupule