Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/1016

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Lorsque l’église organisa peu à peu les divers élémens de son culte, ce qui ne se fit pas en un jour, elle eut à choisir parmi les chants connus et populaires ceux qui étaient bâtis sur les modes les plus simples du système musical des Grecs. Aux quatre échelles ou tons authentiques choisis par saint Ambroise à la fin du IVe siècle, le pape saint Grégoire le Grand en ajouta quatre autres, et ainsi se forma le système musical de l’église, composé de huit échelles diatoniques, c’est-à-dire de huit octaves différemment combinées. Ce qui distingue matériellement chaque ton ou échelle du chant ecclésiastique, c’est la mobilité du demi-ton, qui, dans nos deux modes, majeur et mineur, occupe une place déterminée, c’est la variabilité de la dominante et de la note finale. Quant au caractère esthétique qu’on a voulu attribuer aux différens tons du chant de l’église, il est aussi arbitraire, aussi subjectif, aussi personnel que ce qu’Aristote et Platon ont écrit sur l’expression inhérente aux divers modes de la musique grecque. Ce n’est pas seulement de la constitution matérielle de l’échelle que résulte le caractère moral d’un morceau de musique: il provient de la fusion de divers élémens de la mélodie, du rhythme qui la vivifie, des paroles qu’on y adapte, du lieu, des temps et des mœurs. Changez un de ces élémens, et l’effet ne sera plus le même. De saint Ambroise au pape saint Grégoire, dans l’espace de deux cents ans, il se fait dans le système de la musique ecclésiastique un travail sourd d’altération et d’élimination analogue à celui que l’église avait déjà opéré d’instinct sur les modes nombreux et artificiels de la musique des Grecs. On sait d’une manière presque certaine que les chants choisis par saint Ambroise, et qu’il avait empruntés à l’église grecque, renfermaient des délicatesses vocales, des variétés d’accens et de rhythmes qui ne se trouvent plus dans le cantus planus de saint Grégoire. Les Barbares, qui surviennent, bouleversent tous les élémens de la civilisation romaine, et la langue latine, dépouillée de sa prosodie savante, se change peu à peu en un langage grossier, mais plus simple, d’où sortiront les langues modernes de l’Europe méridionale.

Ainsi de cette variété d’échelles ou plutôt de formes mélodiques qui semblent être le partage des peuples primitifs de l’Orient, les Grecs, héritiers de ces peuples, dégagent quinze échelles différentes, qu’ils divisent en trois modes, dont le plus simple, le diatonique, est presque le seul qui subsiste encore à l’avènement des Romains. L’église, dont le premier souci est le gouvernement des âmes, écarte du système musical des Grecs toutes les combinaisons mélodiques qui lui paraissent trop compliquées pour le but qu’elle se propose, et elle constitue sa mélopée sur huit échelles diatoniques, qui se distinguent les unes des autres par la place qu’occupe le demi-ton, par la mobilité de la dominante et de la finale. Le chant de l’église, qui à l’origine de sa formation, sous saint Ambroise, conserve encore le rhythme, les accens chromatiques et certaines délicatesses vocales de la musique grecque, d’où il est sorti, ne sera plus, sous saint Grégoire et ses premiers successeurs, qu’une mélopée lente et de courte haleine, enveloppant les mots liturgiques note par note, et n’ayant d’autre rhythme que celui qui résulte inévitablement de l’émission de la parole humaine.

Voilà donc le chant liturgique, dit chant grégorien ou plain-chant, formé,