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rieure, et elle ne put arrêter ni le libre examen de la raison, ni l’expansion de la fantaisie humaine. Lorsqu’en 1563 le pape Pie IV nomma une com- mission, présidée par les cardinaux Vitelozzi et Borromée, à l’effet de s’entendre sur l’exécution du décret du concile de Trente contre les indécences qui s’étaient introduites dans les chants de l’église, on sait que ce furent trois messes composées expressément par Palestrina qui décidèrent la commission et le pape à maintenir la musique dans les temples catholiques. Il y a lieu de croire que si le chef de l’église eût sanctionné la sentence du concile de Trente, cela n’eût rien changé aux destinées de l’art. La réforme était née, qui devait imprimer à la musique religieuse une impulsion profonde, dont M. Félix Clément ne paraît pas se douter. L’œuvre de Palestrina et de toute l’école romaine, qui pendant un siècle vit de sa tradition et propage sa manière, est la première forme de musique religieuse que possède le catholicisme. C’est l’esprit, la noble gravité, le vague imposant du chant grégorien fécondé par l’art et le génie d’un grand musicien. L’école de Palestrina, qui se répand dans toute l’Europe, marque un point d’arrêt dans l’histoire de l’art musical entre la tonalité indécise de la mélopée ecclésiastique et celle de la musique moderne, qu’elle fait déjà pressentir. Avec l’épanouissement de la tonalité nouvelle et celle de l’harmonie dissertante qui l’accompagne, le style de la musique religieuse prend d’autres allures et suit les progrès et les transformations de l’art.

L’histoire de la musique religieuse du christianisme peut donc se diviser en trois grandes époques : celle de la formation du chant ecclésiastique, expression simple, vague et populaire de la parole liturgique que le prêtre chante alternativement avec la foule des fidèles, époque de labeur et de gestation où se préparent tous les élémens d’un art nouveau; l’époque de Palestrina et de l’école romaine, dont la musique purement vocale et harmonique est l’expression savante de l’idéal religieux des hautes classes de la société. Forme admirable et pure, qui s’inspire du chant primitif de l’église dont elle garde la profonde sérénité, la musique de Palestrina et de son école ne peut être bien interprétée que par des chanteurs exercés. C’est la musique religieuse du chef de l’église, des hauts dignitaires, des chapelles princières et des grands centres de la catholicité. Vient enfin l’époque de la renaissance et de la tonalité moderne, qui ne commence qu’au milieu du XVIIe siècle, et qui produit d’admirables chefs-d’œuvre de musique religieuse où se distinguent surtout les maîtres de l’école napolitaine : Scarlatti, Léo, Pergolèse, Jomelli.

Qu’est devenue la mélopée ecclésiastique? qu’est devenu le chant hiératique de l’église, comme dit M. Félix Clément, au milieu de ces révolutions du goût, de l’art musical et de la fantaisie? Il a perdu son caractère traditionnel, et sa vague tonalité n’a pu résister à la pression de l’harmonie naissante, au souffle des mélodies mondaines qui pénétraient dans le sanctuaire, à l’ignorance des interprètes, à l’imperfection des signes graphiques qui devaient le fixer et le propager. Forme flottante et sans accent qui revêtait la parole liturgique d’une sonorité avare et monotone, expression naïve, enfantine et populaire du sentiment religieux, dont il ne peut rendre les nuances délicates, le plain-chant ou chant grégorien va toujours s’alté-