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rant, sans qu’on puisse désigner une époque où il aurait atteint sa complète floraison. L’abbé Baini, qui n’est pas suspect, assure dans son bel ouvrage sur la vie et les œuvres de Palestrina que le chant grégorien était déjà méconnaissable dès la seconde moitié du XIIIe siècle. Glarean, un grand théoricien de la première moitié du XVIe siècle, qui a fait une réforme importante dans le système tonal du plain-chant, accuse Josquin Desprès, un des plus illustres prédécesseurs de Palestrina, d’avoir méconnu dans ses compositions le caractère du chant ecclésiastique. Ces plaintes, qui sont incessantes pendant tout le moyen âge, deviennent plus vives à l’éclosion de la tonalité moderne. Le pieux et savant Mortimer, de la secte des frères moraves, rapporte, dans l’excellent ouvrage qu’il a publié en 1821 sur le chant choral, que le vieux Hiller se plaignait dans son temps, vers 1760, que la tonalité du chant ecclésiastique était perdue et n’était plus enseignée dans les écoles de l’Allemagne du nord. Sébastien Bach et toute son école ont appliqué aux tons du plain-chant l’harmonie moderne, et Mortimer prétend que la dissonance n’est pas contraire à la vieille tonalité de l’église. De nos jours, particulièrement en France, de nombreuses recherches historiques ont été faites pour retrouver, pour restaurer ce type idéal du chant grégorien, que l’église n’a jamais possédé, même aux jours de sa puissance et de sa grandeur.

Le livre qui nous a inspiré les considérations qu’on vient de lire est divisé en trois parties. Dans la première partie, l’auteur raconte l’histoire de la formation du chant grégorien au point de vue exclusivement catholique ; dans la seconde, il donne une longue analyse des drames liturgiques dans les églises du moyen âge ; dans la troisième, il fait l’historique de la musique religieuse moderne. L’ouvrage se termine par des considérations sur les différentes réformes qui ont été essayées du chant grégorien, par la traduction du traité du chant ecclésiastique du cardinal Bona, et par une vive polémique d’un prêtre catholique anglais contre la musique moderne. Écrit avec talent, mais avec plus de passion que de véritable savoir, le livre de M. Félix Clément ne justifie pas entièrement le titre pompeux qu’il lui a donné. L’auteur aurait mieux circonscrit l’idée qui le préoccupe en donnant à son ouvrage le titre de considérations historiques sur la formation, la convenance et la beauté du chant grégorien. Toutefois ce livre peut être consulté avec fruit, car il renferme des documens intéressans sur un sujet dont quelques réflexions finales vont faire apprécier l’importance.

L’expression de la pensée et du sentiment religieux est le plus grand effort de l’art. Toutes les religions qui ont existé dans le monde ont accusé leur esprit dans des formes plus ou moins riches et puissantes, qui en ont perpétué le souvenir. On peut affirmer que les premiers monumens qui annoncent l’avènement de l’homme sur la terre sont des monumens religieux. Après l’architecture, après la statuaire et la poésie, la musique est la manifestation la plus intime et la plus profonde des besoins religieux de l’âme. On ne peut concevoir la prière sans un accent musical qui l’accompagne et qui en exprime l’essence comme une vibration du cœur. Aussi la musique a-t-elle fait partie de tous les cultes et de toutes les grandes cérémonies publiques.