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code en 1781 par Frédéric le Grand, a reconquis une certaine influence, devant les tribunaux ; mais l’avocat prussien relève encore du gouvernement, dont il tient sa nomination, et n’a vraiment pas l’indépendance nécessaire à sa profession. Dans la majeure partie du territoire prussien, il est considéré plutôt comme une espèce de procureur que comme un véritable avocat. — Qu’on passe de l’Allemagne à la Russie, on y trouvera l’exemple le plus complet de l’anéantissement du barreau ; les avocats russes sont désignés, et en petit nombre, auprès des tribunaux par le gouvernement ; ils n’ont d’ailleurs jamais à parler en public : au civil et au criminel, la procédure est secrète, et questions de fortune, questions de vie ou de liberté, tout se décide dans le plus strict huis clos. Ce trait particulier des institutions russes paraît avoir échappé à M. de Custine. Il rapporte toutefois qu’à l’époque de son voyage en Russie on y racontait avec admiration qu’un obscur particulier avait gagné un procès contre de grands seigneurs ; il en concluait que l’équité devait être une assez rare exception dans ce pays. Si la nation russe a des tribunaux, « elle n’a pas encore de justice, » disait-il. On peut ajouter aujourd’hui qu’elle n’a pas encore de véritables avocats, et l’on ne saurait s’en étonner ; les avocats peuvent-ils être autre chose que des scribes là où le droit de propriété et la liberté civile n’existent que sous le bon plaisir de l’état ?

Si maintenant on observé la Belgique et l’Angleterre, le tableau change, et alors commence la contre-épreuve de notre observation. Dans ces pays de liberté, non-seulement on trouve des avocats à tous les degrés de juridiction, mais le barreau y est en possession de toutes ses franchises. Les institutions anglaises sont assez connues ; là, aucune crainte pour l’accusé : tout ce qui le concerne se fait au grand jour ; depuis le premier moment de son arrestation jusqu’au jugement, le public est admis à tous ses interrogatoires, à tous les actes de la procédure. Si un officier de police s’écartait de la loi, si un juge cachait quelque prévention particulière, en tout état de cause le prévenu ou l’accusé peut réclamer la protection des lois ; il peut appeler des conseils, des avocats, il peut même appeler à son secours ceux qui sont présens à son interrogatoire, invoquer leur témoignage et implorer leur assistance. Sur l’œuvre de la justice se répand le bienfaisant éclat de la publicité, et aucun abus d’autorité n’échapperait à la presse anglaise. Avec de pareilles institutions, on sent combien est favorisé le rôle de l’avocat. Le barreau est donc librement constitué en Angleterre ; il est ouvert à tous les talens, à toutes les classes de la société, et ne relève que de lui-même ; il a son tableau, sa police intérieure, et comme dans tous les pays où le droit de la défense est en honneur, il fournit des orateurs