Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/147

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Quant à celui de son indépendance, il est dans la constitution de cet ordre, qui veut ses franchises et les a placées dans sa discipline intérieure, dans la possession de son tableau. Avec la discipline intérieure, le barreau devient le gardien de sa propre dignité ; avec la possession de son tableau, il admet ou rejette qui bon lui semble, et apprend à se connaître. Montrons un exemple de cette discipline intérieure. Un débat judiciaire n’est point, Dieu merci, une guerre de buissons et de surprises ; c’est un combat à armes loyales. Au civil, les avocats échangent leurs dossiers sans reçu, quel que soit le nombre, quelle que soit l’importance des pièces. Au criminel, ils ont communication de tous les élémens de l’instruction. Une seule pièce peut parfois décider de la fortune d’un plaideur, de l’honneur ou de la vie d’un accusé. Eh bien ! il est sans exemple au barreau que jamais une pièce ait disparu d’un dossier dans ces continuelles communications. Voilà ce qu’on doit à cette surveillance du barreau sur lui-même et à la libre constitution de cet ordre, représenté par un conseil composé de quelques membres et d’un chef ou bâtonnier, tous librement choisis par les avocats eux-mêmes. D’Aguesseau avait raison de dire que l’ordre des avocats « se distingue par un caractère qui lui est propre ; » mais lorsqu’il ajoute que, « seul entre tous les états, il se maintient toujours dans l’heureuse et paisible possession de son indépendance, » l’illustre chancelier se transportait dans un monde imaginaire. Cela n’était point l’histoire du passé, et ne devait point être non plus celle de l’avenir ; il n’a pas été donné au barreau de vivre dans une pareille béatitude. De récentes publications permettent de rétablir les faits et de restituer au barreau sa douloureuse odyssée à travers les états et les siècles.

On ne peut plus douter aujourd’hui que le barreau romain n’ait eu aussi sa constitution propre, et pendant longtemps cette constitution n’a été réglée par aucune loi. Bien avant le VIIe siècle de l’ère romaine, le barreau était collectivement placé sous l’empire de règles communes et de statuts dont parle Cicéron ; mais ces règles communes et ces statuts ne découlaient d’aucun acte du pouvoir. « Ces règles étaient-elles écrites ? dit M. Grellet-Dumazeau. L’agrégation avait-elle le caractère d’une institution organisée, comme le collège des augures par exemple ? Nous ne le pensons pas. Il est probable que la tradition fut longtemps la seule loi invoquée et acceptée, et que l’unité fut plutôt le résultat de l’esprit de corps que du fait de l’existence légale du corps lui-même. Des devoirs s’établirent par le sentiment des convenances et se maintinrent par l’usage, autorité si puissante chez les Romains. » Cette discipline intérieure, qui échappe à la loi, aux règlemens de l’autorité publique, et qui cependant gouverne le collège des avocats, est