Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/154

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France ; pour lui, il y avait là comme un foyer permanent de sédition. Il en écrivit à Cambacérès. à la mort de l’archi-chancelier, on a retrouvé dans ses papiers la lettre impériale, dont M. Dupin a extrait un passage assez significatif : « Le décret est absurde, disait l’empereur. Il ne laisse aucune prise, aucune action contre eux. Ce sont des factieux, des artisans de crimes et de trahisons ; tant que j’aurai une épée au côté, jamais je ne signerai un pareil décret ; je veux qu’on puisse couper la langue à un avocat qui s’en servirait contre le gouvernement. » Voilà du moins qui était clair. Le décret fut remanié plusieurs fois ; nous en avons eu les différentes épreuves sous les yeux ; on peut voir que Treilhard défendait pied à pied son œuvre, et ne laissait passer chaque mutilation qu’à son corps défendant ; on suit jusqu’à la dernière épreuve la destruction du premier projet, dont il ne resta presque rien. On en avait extirpé le principe de l’élection ; la nomination du bâtonnier et du conseil de l’ordre était confiée au procureur-général, à l’agrément duquel fut également réservé le droit de convocation, et le grand-juge ministre de la justice pouvait « de son autorité et selon les cas » infliger à un avocat des peines disciplinaires, et même le rayer du tableau. Telle fut en définitive l’économie du décret du 14 décembre 1810, qui conserva le préambule de Treilhard, après en avoir néanmoins écarté le mot « indépendance, » qui dit tout. Malgré cette ablation, le préambule du décret a gardé une couleur de libéralisme qui en fait une véritable énigme pour ceux qui cherchent à concilier cette pompeuse apologie de la liberté de l’avocat et de la noblesse de sa profession avec les dispositions qui suivent et lui imposent tant de chaînes. Était-ce pourtant que l’empereur détestât beaucoup les avocats ? Ce serait peut-être trop dire ; ce qu’il détestait surtout, c’était leur indépendance, et c’est là ce qu’il avait voulu leur enlever. Quels adversaires plus gênans en effet que ces hommes habitués à tout ramener aux principes de la justice et du droit ? C’est la réflexion de M. Dupin, qui ajoute, il est vrai, que l’aversion de l’empereur n’existait que pour ceux qui voulaient rester avocats au service du public ; ceux qui consentaient à entrer au sien étaient sûrs d’être bien accueillis. L’étude du droit et de l’histoire n’était pas toujours un refuge assuré contre les recherches du pouvoir. M. Dupin raconte encore qu’en 1809, étant alors jeune avocat, il lui arriva, dans un précis historique du droit romain, de critiquer les usurpations législatives d’Auguste. La police vit là une allusion aux envahissemens progressifs des décrets impériaux sur le domaine des lois, et saisit l’ouvrage. En définitive, si l’on voulait savoir en quoi consiste l’indépendance du barreau et où véritablement elle réside, il suffirait d’examiner par quels côtés l’empereur se hâta de l’atteindre