Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/161

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

celle de l’assemblée constituante, et alors fut posé dans l’organisation judiciaire ce principe, que l’accusation doit être séparée du jugement, et qu’à des magistrats spéciaux doit être confié le soin de prononcer sur les poursuites. L’assemblée constituante, on le voit, ne supposait pas que l’organe du ministère public fût infaillible et dût toujours conserver le calme et l’impassibilité ; dans ces fonctions pénibles, dans cette vie militante et tourmentée, elle sentit que l’homme pourrait parfois apparaître avec ses entraînemens ou ses faiblesses. Ce qu’elle redoutait encore dans le magistrat, c’était ce qu’on appelait alors l’endurcissement professionnel. Un autre membre du comité de constitution, Thouret, dépeignait les angoisses du magistrat qui entre dans la carrière, et toute l’attention qu’il met à peser la moindre accusation, épouvanté du ministère qu’il va remplir ; il a déjà vu la preuve, et il cherche encore à s’assurer de nouveau qu’elle existe. « Voyez-le dix ans après, s’écrie Thouret, surtout s’il a acquis la réputation de ce qu’on appelle au palais un grand criminaliste ; ; il est devenu insouciant et dur, se décidant sur les premières impressions, tranchant sans examen sur les difficultés les plus graves, croyant à peine qu’il y ait une distinction à faire entre un accusé et un coupable. Ce dernier excès de l’abus est l’effet presque inévitable de la permanence des fonctions en matière criminelle : on ne tarde pas à faire par routine ce qu’on ne fait que par métier ; la routine éteint le zèle, et l’habitude d’être sévère conduit à quelque chose de pire que l’insensibilité. » Pour donner plus de relief à la pensée du comité, Thouret l’exagérait sans doute ; du moins est-il vrai de dire que l’assemblée constituante fut loin de placer la défense au-dessous de l’accusation. Aujourd’hui nous marchons avec le code criminel de 1808. Ce code a-t-il conservé l’empreinte de la pensée des législateurs de 1789 ? Lorsqu’il fut discuté, on voulut précisément effacer la distinction posée par l’assemblée constituante, et confondre l’organe du ministère public avec les autres juges ; on voulut non-seulement lui laisser le droit de requérir, mais le droit de préparer lui-même l’instruction. Voici comment ce projet fut repoussé par l’archi-chancelier, dont les paroles sont à retenir : « On ne comprend pas, dit-il, comment la partie adverse du prévenu peut devenir l’instructeur de l’affaire. Autrefois le ministère public était borné à requérir, et les juges prononçaient entre lui et le particulier inculpé. Maintenant on veut le rendre maître des poursuites ; mais on se rassure, parce que, dit-on, les magistrats chargés du ministère public méritent confiance. En méritaient-ils moins autrefois ? Cependant on ne leur donnait pas un pouvoir aussi étendu. Le ministère du procureur impérial consiste essentiellement à poursuivre ; il faut donc que celui de juge lui soit indéfiniment interdit.