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cette liberté, elle sut la revendiquer avec une noble énergie ; « La police ! dit le défenseur ; oh ! messieurs, permettez-moi de vous dévoiler ses mystères. La police ! Elle peut avoir ses privilèges aux yeux de la justice, mais elle ne saurait être inviolable aux yeux de la vérité. La police ! Encore une fois qu’il me soit permis de vous dire ce qu’elle est ! Quand la torture morale a un moment remplacé la torture légale, quand la police descend dans un cachot et arrache violemment un aveu, la défense a le droit de vous le dire. Si elle n’avait pas le droit de le dire, je déposerais immédiatement ma toge, je ne voudrais pas me prêter à un simulacre de défense, et laisser croire qu’il y a eu un défenseur là où la défense n’existait pas. » Puis l’avocat, c’était M. Chaix-d’Est-Ange, retraça les scènes de la prison et du cachot ; selon le défenseur, la police s’était oubliée et avait usé envers l’accusé des moyens d’information d’un autre âge. Il n’y avait pas eu d’aveux, ajoutait-il, en présence d’une sorte de torture exercée sur un enfant abattu, démoralisé par les rigueurs prolongées du secret et le cruel séjour de la prison. — La plaidoirie était entraînante, incisive, éloquente. L’accusé fut acquitté. À cette allure de la défense substituez une parole moins ferme, moins hardie, ménageant l’instruction, l’accusation et la police : au lieu d’entrer résolument dans ce cachot dont il fallait livrer les secrets à la justice, que l’avocat en eût seulement entr’ouvert la porte, qu’il eût craint en un mot de tout dire, et le jury, qui n’eût point tout entendu, aurait peut-être laissé tomber la tête de l’accusé.

Ainsi s’est toujours pratiqué le droit de la défense sous l’organisation judiciaire actuelle. On en convient dans une certaine mesure, mais on ajoute que le droit de défendre n’entraîne pas celui d’attaquer, et surtout d’attaquer l’organe de l’accusation, « parce que, dit-on, il est investi par la loi du droit de porter la parole au nom de la société. » Incontestablement c’est à l’accusation qu’il faut s’en prendre et non à la personne du ministère public ; c’est, avant tout, l’accusation que l’on combat et non le magistrat qui la porte. La pratique habituelle de la justice peut accepter cette règle ; mais la question n’est pas là. Il faut supposer, ce qui doit être rare sans aucun doute, que le ministère public s’est mis personnellement en avant, et qu’agissant avec un zèle excessif, avec une ardeur trop passionnée, il a dépassé le but légitime de l’accusation. Que fera le défenseur ? Ne pourra-t-il arrêter l’accusation dans cette voie funeste et blâmer ce qui lui paraîtra blâmable ? Supposition impossible, dit-on : « chargé par la loi de poursuivre la répression des délits et des crimes, le ministère public le fait avec fermeté, avec vigueur quelquefois, avec passion jamais. » Ce n’est pas là répondre ; c’est contester le fait supposé, et rien de plus. Eh bien ! le législateur est allé