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plus loin et a pensé, lui, que le ministère public pouvait agir avec prévention, avec passion même : c’est pour cela qu’il n’en a point voulu pour juge et lui a interdit de se mêler aux délibérations ; en face d’une accusation prévenue ou passionnée, en face d’une injuste attaque, comment aurait-il voulu que la défense restât muette et désarmée ?

Nous n’insisterons pas davantage. Le droit du ministère public, ce droit de prédominance et de supériorité qu’on lui a supposé ne pouvait résulter que d’un texte, et non-seulement ce texte n’est pas encore trouvé, mais l’examen de notre organisation judiciaire conduit à reconnaître que l’accusation et la défense ont été placées par la loi sur un pied de complète égalité. C’est là un principe acquis, certain, et qu’il importe au barreau de maintenir comme un de ces privilèges de la libre parole, assez peu nombreux de notre temps pour qu’on mette quelque zèle à les défendre. On ne doit pas oublier que la tribune française n’a point encore reconquis toutes ses franchises, que la législation sur la presse est vivement critiquée et n’offre pas toutes les garanties qu’on doit en attendre, qu’en l’absence de toute responsabilité ministérielle il y a bien quelques dangers pour celui qui veut se livrer à l’appréciation et à l’examen des actes du pouvoir, la critique sincère et vive pouvant être confondue avec l’hostilité et les attaques contre le chef de l’état, — que le droit de pétition, cet autre droit naturel selon l’assemblée constituante, admis seulement auprès du sénat, n’a pas encore repris la place qu’il occupait naguère dans nos institutions. En s’élevant à ces divers points de vue, chacun peut comprendre à quoi sert l’indépendance du barreau, et se demandera si, dans certains cas, il, ne serait pas un rempart contre les attaques et les colères du pouvoir lui-même, contre la violation des droits et d’injustes persécutions. M. Berryer n’en doute pas, et c’est avec une conviction sincère qu’après avoir démontré la nécessité de cette indépendance, il s’écrie : « Tout est à craindre si elle est mutilée, rien n’est désespéré si elle se maintient et se fait respecter. »

Dans sa tâche difficile, souvent courageuse, c’est principalement sur le bon vouloir, sur l’appui, disons mieux, sur l’indépendance même de la magistrature que le barreau doit compter. Un lien étroit les unit dans l’accomplissement d’une œuvre commune, la justice ; ce lien, nous voudrions qu’il fût plus étroit encore, nous voudrions qu’il fût bien compris qu’on a trop souvent cherché à désunir ces deux forces, et que l’une et l’autre n’ont trouvé qu’affaiblissement dans la désunion. Sous ce rapport, le passé est plein de leçons et d’exemples. Qui donc, sous le pouvoir despotique de Louis XIV, exaltait le barreau et lui tendait la main ? Les plus grands