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froid et médiocre, comme beaucoup de peintres de l’école de Séville que l’emphase espagnole proclame en vain des hommes de génie. Si Pacheco avait peu de talent, il avait de l’instruction ; son traité sur la peinture prouve qu’il put donner à Velasquez de bons conseils. Il fut surtout assez avisé pour lui donner une famille : ce choix d’un jeune homme pauvre et obscur est honorable pour lui de toute façon, surtout s’il pressentit que son gendre serait un grand artiste.

Mais Velasquez ne se contentait point, cela se conçoit, des leçons de Pacheco. Il cherchait des modèles plus élevés, une nourriture plus forte que Séville ne pouvait alors lui fournir. C’est ainsi qu’à un moment donné il s’éprend des tableaux de Louis Tristan, peintre de Tolède, que les biographes comptent, pour ce motif, parmi ses maîtres. Il fut forcé de se rejeter sur la nature, comme Lysippe ; il copiait avec acharnement les objets qui lui tombaient sous la main, les plantes, les poissons, les oiseaux, les animaux ; il dessinait dans mille postures et avec mille expressions diverses un jeune paysan qu’il avait pris à son service ; il peignait tous ceux qui s’y prêtaient, développant par ces études répétées son goût et son talent pour le portrait, de sorte qu’à proprement parler, Velasquez, fut élève de la nature et de lui-même. L’art fut pour lui un véritable don : il l’aima par instinct, le cultiva par passion, le conquit par la force du sentiment personnel. Son originalité traversa victorieuse les ateliers où elle aurait dû s’éteindre ; elle résista même à l’influence de maîtres ou de modèles illustres qu’il rencontra plus tard. À l’âge de vingt-neuf ans, il connut Rubens à Madrid ; il passa neuf mois dans un commerce intime avec ce séduisant esprit. À trente ans, il était à Venise, où il copiait les tableaux vénitiens, notamment le Calvaire et la Communion du Tintoret. De Venise, il se rendait à Rome, où il étudiait Raphaël et Michel-Ange, copiant même le Jugement dernier, les Sibylles de la Chapelle Sixtine, l’École d’Athènes, le Parnasse. Mais ni Rubens, ni les Vénitiens, ni Michel-Ange, ni Raphaël n’ont marqué leur empreinte sur les œuvres de Velasquez. Ce qu’il déroba à d’aussi excellent modèles, il se l’assimila avec une énergie qui effaçait les traces et sauvait son indépendance.

Rien n’était plus propre d’ailleurs à inspirer à Velasquez la fermeté et la foi en lui-même que la faveur précoce qui l’éleva au-dessus de ses contemporains et l’y maintint jusqu’à sa dernière heure. Dès l’an 1623, Philippe IV le nommait son peintre, l’attachait à son palais, l’admettait dans sa familiarité. Carducho, Caxes, Nardi, ses rivaux à la cour, s’inclinant devant la volonté souveraine, avouaient que jamais ils n’avaient représenté le roi avec autant de bonheur, aveu plus véridique que sincère : ils souffraient que leurs portraits fussent relégués dans une salle obscure, tandis que Velasquez, à l’égal d’Apelle, gardait seul le privilège de peindre le nouvel