Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/178

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d’histoire à son peintre. ; ce fut après la prise de Bréda, car les victoires étaient rares sous son règne. La Reddition de Bréda est appelée aussi le Tableau des Lances, parce que les hautes piques des troupes espagnoles se dressent sur la droite comme une forêt. Devant les lances, les officiers du général Spinola se tiennent immobiles ; toutes les têtes sont graves, tournées de façon à être vues, parce qu’elles sont des portraits. Dans l’angle, Velasquez s’est représenté lui-même, avec un feutre, des bottes et un manteau gris. Son œil est vif, son teint brillant, sa moustache frisée, sa tournure élégante ; on voit qu’il comptait parmi les cavaliers accomplis. Le côté opposé de la toile montre en pendant l’escorte du gouverneur de Bréda. Entre ces deux troupes, un grand vide laisse voir le paysage : c’est là que les deux chefs s’abordent. Spinola a mis pied à terre pour recevoir le prince de Nassau. Sa figure rusée a une telle expression d’affabilité et de bonne grâce, il appuie si éloquemment sa main sur l’épaule du vaincu, qu’on devine qu’il le complimente sur sa belle défense. La scène est simple, conçue largement, traitée de main de maître. Afin de rompre la monotonie des deux groupes, le peintre a laissé au premier plan le cheval de Spinola, et, pour ajouter à tant de hardiesse, il le présente en raccourci.

Assurément une capitulation est un sujet peu fécond, d’un intérêt médiocre, et nous passons d’ordinaire avec indifférence devant la peinture officielle, qui rivalise avec les gazettes. Ici au contraire, rien ne peut rendre le charme qui vous arrête, vous retient, vous ramène et vous retient encore. L’action la plus dramatique n’aurait pas plus de puissance, la peinture la plus voluptueuse plus d’amorces. Tantôt on admire la couleur enchanteresse de cette vaste toile, où les tons, choisis, limpides, harmonieux, prennent par leur juxtaposition une vigueur inouïe ; tantôt c’est le paysage qui se déroule plein de clarté, de fraîcheur, où l’air circule véritablement et donne à la nature cette vie muette qui vous enivre ; tantôt ce sont les personnages, peints avec tant de naturel, saisis dans le vif de leur action, et nous causant le même plaisir que nous causerait une scène représentée sous nos yeux. Il n’y a rien de sacrifié, rien de conventionnel, même dans les effets et dans les ombres ; aucun des artifices permis aux peintres n’a été employé. Tout se montre, tout est interprété, tout se modèle en pleine lumière. Un parti aussi hardi aurait effrayé plus d’un maître. Velasquez en a tiré des beautés si originales et un succès si fier, qu’il est digne de prendre place à côté des plus grands.

Les Fileuses nous ramènent aux tableaux d’intérieur que Velasquez, accoutumé à peindre le portrait en pied, excellait à traiter sur une grande échelle. Le sujet est une manufacture de tapis. Dans une salle fermée aux ardeurs de l’été, cinq fileuses préparent des