Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/230

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favoris d’une façon servile, il n’eût trouvé pour les louer que les vieux éloges trop connus, et n’eût pas rencontré les aperçus nouveaux qui recommandent son livre, car les sentimens de convention ne brillent pas plus par l’imprévu de l’expression que par la vérité du jugement.

Des trois monographies que M. Clément a consacrées à l’Italie du XVIe siècle, celle de Michel-Ange est la plus étendue, la plus enthousiaste et la plus intéressante. On sent qu’elle a été écrite avec amour et prédilection, et cependant elle ne trahit aucune partialité ni aucun caprice de passion. Michel-Ange est l’artiste favori de M. Clément ; mais s’il le préfère à ses deux grands rivaux, ce n’est point par entraînement d’intelligence ou par une particularité de nature, c’est par obéissance à l’équité qui doit présider aux jugemens du goût. L’enthousiasme de M. Clément est proportionné à la grandeur des sujets qu’il traite, et cette proportion est marquée par des nuances extrêmement fines qui se laissent deviner plutôt qu’elles ne se montrent. Sur Michel-Ange, cet enthousiasme s’exprime par l’émotion unie à l’étonnement, sur Léonard par un mélange de curiosité et d’attention, sur Raphaël par la sympathie unie au ravissement. Ces nuances suffisent pour marquer les places respectives de ces trois grands artistes ; leurs rangs sont pour ainsi dire déterminés par les différens degrés d’admiration qu’ils inspirent à leur critique et par la diversité des qualités pour lesquelles ils sont loués. Sans que l’auteur ait besoin de formuler en termes sévères des jugemens que nous pourrions trouver pédantesques et audacieux, nous sentons que l’artiste qui est loué pour telle qualité ou tel don de nature doit être regardé comme inférieur à l’artiste qui est loué pour telle autre qualité ou tel autre don ; nous comprenons que la facilité la plus heureuse et la faculté d’assimilation la plus rapide ne sauraient être comparées à la force inventive, que la science la plus ingénieuse et l’esprit de combinaison le plus habile ne sauraient égaler le génie qui tire tout de lui-même. Quand il entre dans le domaine du très grand art, la timidité saisit d’ordinaire le contemplateur ; la beauté des œuvres, loin de raffermir son jugement, le trouble et le fait hésiter ; il tremble d’avouer une préférence. M. Clément nous enseigne le moyen de prévenir cette timidité. « Cherchez, nous dit-il, l’artiste chez lequel se révèlent les facultés les plus élevées et admirez-le hardiment en faisant abstraction des louanges consacrées. Abaissez ou haussez votre admiration selon les divers degrés d’estime que la conscience morale du genre humain a toujours accordés et accordera toujours aux diverses qualités de la nature et de l’esprit. Si vous jugez selon les lois de ce critérium infaillible, la supériorité de Michel-Ange sur Léonard et