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Garibaldi. Elle l’aime, elle l’encense, elle l’admire, et pourtant elle n’est pas garibaldienne, et elle fait bien.


II. — DE NICE A TURIN.

On va de Nice en Piémont par le col de Tende, c’est-à-dire qu’on prend au nord-ouest, qu’on remonte la Scarena, et qu’au bout de trois ou quatre heures de marche on a passé du printemps à l’hiver, de la région des fleurs à celle des neiges. Nous eûmes toute la vivacité du contraste. Vers le soir, la malle-poste se mit au pas pour ne le plus quitter jusqu’au lendemain dans l’après-midi. La nuit était assez claire pour nous laisser voir l’âpreté sauvage des rochers, des torrens, des précipices. Ce n’était pas le temps où l’on dit qu’une végétation embaumée émaille par place ces côtes abruptes. Bientôt à nos côtés, au-dessus, au-dessous de nous, tout ne fut que frimas et glace. L’air n’était pas froid pourtant, et la voiture ne resta jamais fermée. Il y eut des momens de beau temps, il y eut des éclairs avec un tonnerre lointain, il y eut de la pluie et du vent, et, en arrivant à Tende, tout annonçait une de ces tourmentes de neige qui quelquefois se font redouter ; mais, avant d’atteindre ce point, c’est-à-dire plus de 1,800 mètres au-dessus de la nier, par un chemin très bon, mais très raide, on a dépassé le fort de Saorgio, qui commande une gorge étroite, et l’on s’est demandé par quel prodige de vigueur et d’adresse nos soldats ont autrefois franchi de tels défilés et forcé de telles positions. Saorgio, pour un passant, a tout l’air imprenable ; mais Masséna ne l’a pas jugé sur l’apparence.

Un moment le doute nous prit sur la possibilité d’avancer. En sortant de Tende, poste de douane italienne, où nous étions à six heures du matin, la neige devint plus épaisse, et nous oubliâmes de nous faire montrer le château de cette Béatrice qui ne nous est guère connue que par un opéra, mais que la torture contraignit à se calomnier elle-même, et qui mourut victime de la jalousie d’un Visconti. Il avait fallu atteler douze mules à la berline, et quinze ou vingt montagnards, bien chaussés, bien couverts, bien fourrés, armés de grandes pioches dont la lame ressemble à une bêche en as de pique, marchaient en pionniers autour de la voiture et creusaient presque à chaque pas notre voie dans la neige fraîchement amoncelée. La route est ancienne, croisée en lacets, et non dessinée en longues courbes au flanc des montagnes, selon la méthode moderne. Elle fait honneur au XVIe siècle, dont elle date, et elle est entretenue avec soin. Le gouvernement piémontais donne une forte subvention aux maîtres de poste de la région pour soudoyer l’armée de muletiers