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L’INSURRECTION CHINOISE.

cessivement les portes de plusieurs villes importantes, et le 10 mars 1853 ils parurent devant les murs de l’ancienne capitale des Ming.

Par une étrange coïncidence, une cérémonie curieuse et touchante s’était accomplie ce jour-là même à Pékin. L’empereur s’était prosterné devant l’autel du Dieu suprême (Chang-ti), auquel il avait adressé d’humbles supplications pour le rétablissement de la paix et de la félicité de son peuple. Il s’y était accusé de négligence dans la recherche des abus de toute sorte qui avaient causé les maux de l’empire, déclarant à haute voix que, brisé de douleur, il avait perdu le sommeil, et que ses lèvres se refusaient à prendre la nourriture qu’il leur présentait. Dix jours après parut dans la gazette officielle une longue confession que Hienn-foung adressait à tous ses sujets. « Depuis trois ans que j’exerce le pouvoir, y disait-il, ma vie n’a été remplie que de chagrins et d’inquiétudes, et maintenant que les malheurs de mon peuple sont à leur comble, je ne puis m’empêcher de me considérer comme le plus grand coupable de tout l’empire. » — Interpellant ensuite ses ministres et ses officiers, il leur dit de mettre la main sur leur cœur dans le silence de la nuit, et de se demander alors s’ils pourraient rester témoins insensibles de tant de calamités. « Si vous ne réformez pas vos habitudes, ajouta-t-il, je vous punirai sévèrement. Il est aisé de me tromper : placé seul à la tête de l’empire, comment pourrais-je connaître la vérité, si vous ne m’en rendez un compte fidèle ? Mais vous ne pouvez en imposer au ciel, qui voit tout ce qui se passe ici-bas, et il sévira contre vous avec rigueur. »

Un événement qui paraissait décisif pour le succès de l’insurrection suivit de près la publication des doléances impériales. Nankin tomba au pouvoir des rebelles. Le 19 mars 1853, ils y pénétrèrent par une brèche de plus de soixante pieds de long. Tous les soldats de la garnison tartare, leurs femmes et leurs enfans, au nombre de plus de vingt mille, se laissèrent égorger sans résistance, comme s’ils obéissaient à une sorte de fatalité vengeresse. Après ce sanglant exploit, Hong-siou-tsiouen ne laissa pas reposer ses troupes. Ne conservant dans Nankin que les forces nécessaires pour la garder, il se hâta d’envoyer ses généraux à de nouveaux combats. Les autorités de Kiang-sou fuyaient éperdues vers le sud de la province, entraînant avec elles pour leur propre défense les garnisons qui protégeaient les rives du Yang-tze. En peu de jours Tchin-kiang, Koua-tchao et Y-tching tombèrent au pouvoir des rebelles. Maîtres à la fois des deux bouches qui font communiquer le fleuve et le grand canal, ils purent désormais compter sur la famine comme sur une alliée puissante.

Cependant le gouvernement tartare, éclairé par ses nombreux