Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/337

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mais que nous ne pouvions tolérer qu’ils livrassent nos établissemens aux horreurs de la guerre civile, on crut sans doute leur ôter l’espoir du succès, arrêter leur marche vers Shang-haï sans provoquer imprudemment leur vengeance et conjurer en partie les périls que l’on redoutait. Par mesure de prudence, le commandant des forces navales françaises fit occuper le faubourg de l’est ; les Anglais se chargèrent de défendre la ville du côté de l’ouest et du sud, les négociant étrangers s’entendirent entre eux pour s’organiser en compagnies de volontaires, et protéger au besoin les concessions contre les insurgés, les impériaux ou les voleurs.

Soit que le roi fidèle n’eût pas reçu nos avertissemens, soit qu’il n’en eût pas saisi exactement la portée, ou qu’il ait voulu feindre de ne les pas comprendre, ses troupes continuèrent à s’avancer vers Shang-haï. Le 18 août 1860, à dix heures du matin, les impériaux, qui couvraient les approches de la ville, furent attaqués et poursuivis jusqu’aux faubourgs de l’ouest, où les Anglais avaient placé leurs batteries. Repoussés par l’artillerie des Sikhs, ils se retirèrent en assez bon ordre, et essayèrent le lendemain de pénétrer par le faubourg de l’est, dont nous avions pris la défense. Nos boulets et nos obus les mirent en fuite ; mais ce double échec ne les découragea pas. Le 20 août, on les vit reparaître plus nombreux et plus ardens ; cette fois, nos batteries et celles des Anglais firent feu sur eux de toutes leurs pièces : ils maintinrent leur terrain quelques instans, puis reculèrent et finirent par battre en retraite lentement, sans effroi, sans désordre. Depuis ce moment, ils n’ont pas reparu.

La lutte était engagée, et pouvait avoir de funestes conséquences pour la sûreté de nos nationaux. Afin de prévenir le retour des scènes sanglantes qui venaient d’épouvanter Shang-haï, nos agens ne reculèrent devant aucune des mesures que parut leur conseiller la prudence, quelque graves, quelque terribles qu’elles pussent être, Ils savaient par les rapports de la police chinoise que les vastes faubourgs de Shang-haï recelaient des espions de Taï-ping-ouang, des bandits, des soldats de l’insurrection déguisés en mendians ou en voyageurs, toute une population turbulente et affamée qui attendait depuis longtemps le signal du meurtre et du pillage. Nos forces n’étaient pas nombreuses. Nous ne pouvions éviter le danger qu’en la voyant venir de loin. Il nous fallait niveler le terrain et dégager les abords de la place. Les commandans des forces navales appelèrent l’incendie à leur aide, et firent à la ville une ceinture de ruines fumantes. Ils se décidèrent ensuite à prendre officiellement vis-à-vis des rebelles une attitude qui ne pût leur laisser aucun doute sur leurs véritables intentions, dans le cas où ils eussent cru pouvoir attribuer à un malentendu les derniers événemens. M. Forrest, attaché