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lui devait la vérité et n’hésite pas à la lui dire : « pour conserver l’empire, il faut garder les cœurs de ses sujets. »

Ainsi les provinces centrales et maritimes de la Chine proprement dite ont été successivement envahies par l’insurrection ; le mal s’est attaché d’abord au cœur et aux entrailles de l’empire, puis il s’est étendu avec une effrayante rapidité, et maintenant toutes les parties vitales sont atteintes. Le trésor est vide, et les sources qui devaient le remplir, — le commerce, l’industrie, les impôts, — sont presque taries. Les fonctionnaires sont en général corrompus et inhabiles, les soldats mal payés et mécontens, les populations inquiètes, et le journal officiel trahit lui-même les souffrances qui épuisent cette constitution vieillie. L’émission du papier-monnaie, ce stérile expédient d’un pouvoir aux abois, les abus déplorables signalés par le censeur Youn-paou, la franchise hardie de Ouang-mao-yin, ce reflet encore éclatant d’une civilisation qui avait devancé la nôtre dans la conquête des doctrines libérales, sont pour le gouvernement tartare d’accablantes révélations. Elles témoignent de l’épuisement de ses ressources au moment où les plus sérieux périls le pressent de toutes parts ; elles montrent son imprévoyance et son incurie en face de la vigilance et de l’activité de ses adversaires ; elles accusent en un mot des symptômes de décadence, indices presque certains d’une ruine prochaine. Pour sauver une cause si compromise, il faudrait que l’union du dévouement et du génie lui vînt en aide. La dynastie mandchoue a encore des serviteurs dévoués et habiles ; mais le talent de ses fonctionnaires ne s’est élevé nulle part jusqu’au génie. Les intempéries des saisons, la constance de quelques officiers fidèles, peuvent encore prolonger la lutte ; l’entreprise de l’insurrection peut encore échouer sous l’influence des vices secrets qui la travaillent. On ne voit pourtant, à l’époque où nous sommes arrivés (1861) et dans les mesures adoptées récemment par le gouvernement impérial, aucun motif de douter du triomphe prochain de Taï-ping-ouang.


III. — DE LA NATURE ET DES TENDANCES DE L’INSURRECTION CHINOISE.

Après avoir étudié les causes de l’insurrection chinoise et cherché à découvrir son obscure et mystérieuse origine, après avoir tracé le récit souvent monotone de ses victoires et de ses épreuves, il me reste à l’observer dans sa nature et ses tendances. Plus inquiet de l’avenir que soucieux du passé, je ne me dissimule pas qu’au moment de finir ma tâche, j’en aborde précisément la partie la plus importante et la plus délicate. Pénétrer les conséquences des événemens que j’ai racontés, montrer comment, sous la double pression du