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visibles de la grâce divine que le christianisme a fait sortir de l’interprétation de l’Évangile, et nous ne parlons pas seulement de tous les sacremens administrés par l’église catholique, mais de ceux qui sont admis par la presque universalité des chrétiens, le baptême et la communion[1]. Sa doctrine est évidemment l’œuvre d’un homme qui n’avait reçu que des leçons incomplètes du christianisme, et qui, faute de guide spirituel, s’est perdu dans les contradictions apparentes que présentent le Nouveau et l’Ancien Testament. C’est avant tout l’œuvre d’un imposteur, d’un imposteur moins habile, plus hardi que Mahomet, qui, aspirant à révolutionner son pays dans l’intérêt de son ambition et ayant besoin pour le succès de ses vues politiques de partisans dévoués jusqu’au fanatisme, a entrepris de réveiller la nature indolente de ses compatriotes et de la transformer par une régénération religieuse[2]. Cet homme a trouvé sous sa main, dans les livres qu’il avait à sa disposition, une religion toute faite, qu’il n’a pu qu’imparfaitement comprendre, mais dont les préceptes, à travers sa confuse interprétation, lui ont paru propres à opérer cette régénération, et dont l’histoire lui a fourni des renseignemens précieux, qu’il a su mettre à profit. Il a fait appel à la superstition du peuple en s’attribuant une mission divine et rédemptrice semblable à celle de Jésus-Christ, qu’il a appelé son frère aîné ; mais, comme son but était de conquérir un trône et non de convertir et de sauver les âmes, cette mission devait être guerrière et vengeresse.

Au reste, les chefs de l’insurrection ont senti promptement le besoin de proclamer de nouveaux dogmes et d’inventer de nouveaux miracles, afin d’éblouir leurs soldats, de raffermir les liens de la discipline relâchée par l’inaction des camps, et surtout d’augmenter l’éclat de leur autorité, dont les victoires des impériaux avaient récemment affaibli le prestige. Ils ont voulu aussi dérober aux yeux de la multitude le ridicule ou scandaleux spectacle de leurs rivalités, de leurs faiblesses et de leurs désordres, en les couvrant d’un voile mystérieux qu’aucune main profane ne pouvait soulever sans se rendre sacrilège. L’intervention divine, qu’ils avaient réservée d’abord pour les grandes et solennelles occasions, deviendra bientôt pour eux un moyen vulgaire. Le roi de l’est, Yang-tsiou-tsing, se

  1. L’ablution régénératrice dont parle Hong-siou-tsiouen ne saurait être considérée comme un sacrement : elle n’a pas à ses yeux le caractère obligatoire du baptême. Il la considère comme une simple pratique pieuse qu’il est bon pour tout homme d’accomplir de son propre chef, sans qu’il soit besoin de recourir, pour s’en acquitter, à l’intervention d’un ministre du culte.
  2. Quelques-uns des journaux anglais publiés en Chine appellent Taï-ping-ouang le chef protestant ( the protestant ruler).