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Taï-ping-ouang s’est montré plus scrupuleux observateur de son système politique que de ses théories religieuses. Il n’y a pas en Orient de civilisation qui n’admette de nombreux abus, ni d’administration qui n’ait beaucoup à se faire pardonner, et qui ne soit contrainte, pour ne pas être jugée avec trop de rigueur, de savoir se montrer à propos indulgente et débonnaire. La nature sensuelle des soldats de la rébellion n’a pas parlé moins haut que celle de leurs chefs ; elle s’est révoltée contre la contrainte qu’on leur avait d’abord imposée. On fume du tabac et de l’opium à Nankin et dans les autres villes où flotte l’étendard des insurgés, on y joue quelque peu, et la discipline n’y est pas très sévère ; mais la rigueur du principe est maintenue, et de temps à autre on fait tomber quelques têtes pour prouver que la loi n’a pas été abolie. Les rangs inférieurs de l’armée obéissent en général à la règle qui exige la séparation des sexes ; celle qui prescrit la communauté du butin est encore observée[1].

Fidèle à la haine qu’il a vouée au gouvernement mandchou, Taï-ping-ouang dédaigne systématiquement tout ce que ses adversaires honorent et patronne tout ce qu’ils méprisent. Il a proscrit la plupart des ouvrages dont se servent les lettrés et établi un nouveau mode d’examen d’après lequel les aspirans aux épreuves littéraires doivent être interrogés sur les sujets qu’il a traités dans ses écrits[2]. Ses sympathies pour les étrangers, auxquels la dynastie des Tsing a constamment donné des témoignages d’une si soupçonneuse aversion, son respect pour leurs traditions et leurs livres, son admiration pour les merveilles de la civilisation chrétienne, ont

  1. Après l’entrevue de M. de Bourboulon et du premier ministre de Taï-ping-ouang, l’un de nous offrit une demi-piastre à un soldat qui s’était trouvé séparé un instant du reste de notre escorte. Il la refusa obstinément, bien qu’il fit alors nuit noire et qu’il ne put être vu de personne. Comme nous le pressions d’accepter, il répondit qu’il n’avait pas besoin d’argent, puisqu’on lui fournissait la nourriture, les vêtemens et les armes. Et comme nous redoublions d’instance afin de voir jusqu’où il pousserait une répugnance qui nous semblait si antipathique aux instincts de sa race, il ajouta qu’il ne voulait pas courir le risque de se faire couper la tête.
  2. Il proscrit particulièrement les ouvrages des commentateurs, qui, au lieu d’interpréter les sages qu’ils n’ont pas compris, n’ont fait, suivant lui, que fausser le sens naturel du peuple chinois.