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éclata en 1278. À saint Bonaventure, qui, en dépit de son surnom de docteur séraphique, n’avait pas été doux pour Roger Bacon, mais qui du moins portait dans le gouvernement quelque chose de l’élévation de son esprit et de la douceur relative de son caractère, venait de succéder Jérôme d’Ascoli, caractère énergique, étroit, inflexible. Jérôme vint à Paris tenir un chapitre général de l’ordre. On y fit d’abord comparaître le frère Pierre-Jean d’Olive, suspect de partager les erreurs de Jean de Parme et de l’Evangile éternel. Après lui, ce fut le tour de Roger Bacon. Nous ne savons rien de ce procès, sinon que défense fut faite d’embrasser les opinions du frère rebelle, et qu’il fut lui-même jeté en prison.

En vain Roger s’adressa-t-il au pape Nicolas III. Jérôme l’avait prévenu auprès du saint-père, et les cris de détresse du malheureux franciscain furent étouffés. Cette nouvelle et plus terrible épreuve, sur laquelle tout détail nous manque, dura quatorze ans. Ce ne fut qu’en 1592, après la mort de Jérôme d’Ascoli (pape depuis 1288 sous le nom de Nicolas IV), que le nouveau général de l’ordre, Raymond Galfred ou Gaufredi, rendit à Roger Bacon la liberté. L’infortuné n’était plus en état d’en abuser ; il avait près de quatre-vingts ans. Il s’éteignit peu de temps après à Oxford. Les haines qui l’avaient opprimé pendant sa vie s’acharnèrent sur ses écrits après sa mort. On cloua ses écrits sur des planches pour en empêcher la lecture et les laisser pourrir dans la poussière et l’humidité.


III

Il ne faut point s’attendre à trouver dans l’Opus majus, ni dans aucun autre ouvrage de Roger Bacon, un système général de philosophie. Sous ce rapport, l’analogie est frappante entre le moine d’Oxford et son grand homonyme le chancelier d’Angleterre. Lisez le De Augmentis et le Novum Organum, vous y chercheriez vainement une nouvelle métaphysique ; mais vous y trouverez une méthode et des vues supérieures sur la réforme de la philosophie et la constitution de l’esprit humain. Dans les écrits de Roger Bacon, vous ne trouverez aussi qu’une méthode et des vues générales ; mais ce qui est prodigieux, c’est que le franciscain du XIIIe siècle préconise la même méthode et s’élève aux mêmes vues que le contemporain de Galilée et de Kepler.

Il y a pourtant une différence notable entre les deux Bacon, et elle est toute à l’avantage de Roger. Le chancelier a été sans aucun doute un grand esprit, un grand promoteur ; mais on ne peut nier qu’il ne lui ait manqué un don essentiel, celui qu’ont possédé au degré le plus élevé les Descartes et les Pascal : il lui a manqué ce don d’invention