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ses croyances. Pour lui, la vérité réside dans les saintes écritures ; il ne reste qu’à l’en faire sortir ou à l’y rattacher : c’est à quoi sert la philosophie. L’Écriture, c’est la main fermée ; la philosophie, c’est la main ouverte. Pourquoi les philosophes anciens ont-ils, pressenti les plus hautes vérités du christianisme ? C’est d’abord qu’ils ont recueilli par des voies mystérieuses cette première révélation que les patriarches se sont transmise dans son intégrité, et qui s’est communiquée par lambeaux aux sages de tous les pays. Et puis, il y a une raison plus simple et plus profonde de l’accord nécessaire de la philosophie et de la théologie : c’est qu’elles ont la même origine. Ce sont deux rayons du même soleil, car la raison qui éclaire les philosophes, cet intellect actif, comme ils disent, qui excite et allume toutes les intelligences, c’est le Verbe même de Dieu, le Verbe qui s’est fait chair et qui a habité parmi nous.

Voilà certes une manière très élevée de concevoir l’harmonie de la science et de la foi ; mais qui ne reconnaît à l’instant que cette doctrine est celle-là même qu’ont enseignée tous les grands théologiens du XIIIe siècle ? Comment se fait-il maintenant que Roger Bacon se montre pénétré d’un si profond dédain pour l’œuvre d’Alexandre de Hales, d’Albert le Grand et de saint Thomas, et qu’il ait employé sa vie à ouvrir une autre voie à ses contemporains ? Voici, je crois, la clé de cette énigme.

Roger Bacon connaît à fond la théologie chrétienne, et il la tient pour absolument vraie. Or qu’est-ce que la théologie, si ce n’est la solution régulière et raisonnée de tous les grands problèmes qui intéressent l’humanité ? Il y a dans les dogmes du christianisme, et parmi les obscurités mêmes des mystères, une métaphysique secrète. La Trinité est-elle autre chose qu’une explication de la nature de Dieu, explication incomplète il est vrai, lumière mêlée d’ombre, mais proportionnée à nos faibles yeux, en attendant qu’ils soient capables de supporter le plein jour de la vérité contemplée fade ad faciem ? Comment concevoir l’origine de l’homme et de toutes choses ? La théologie l’explique par la puissance créatrice du Verbe. Et quant à la condition terrestre du genre humain, la religion n’en assigne-t-elle pas la cause première par le dogme du péché originel, dogme redoutable, qu’une logique sublime rattache par des nœuds étroits aux dogmes consolans de l’incarnation.et de la rédemption, gages de notre salut et de notre félicité future ? Recueillir et comprendre ces dogmes autant que la raison le permet, en saisir les rapports et l’enchaînement, c’est véritablement connaître les premières causes et les premiers principes des choses. Or cette connaissance, c’est ce qu’on appelle proprement la métaphysique. S’il en est ainsi, quelle est l’œuvre la plus féconde que la science humaine