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teur y rappelait hardiment au roi régnant que son père voulait rétablir des états particuliers dans les provinces, sommation fort claire qui resta sans effet sur l’égoïste et lâche Louis XV.

Dès son avènement au ministère, en 1774, Turgot prépara un plan hardi et complet qui n’était rien moins que tout un projet de constitution assis sur une large base de libertés locales. Ce plan est consigné dans un mémoire au roi sur les municipalités, rédigé sous les yeux du ministre par son ami Dupont de Nemours, celui à qui Voltaire écrivait : « J’ose féliciter la France que M. Turgot soit ministre et qu’il ait un homme tel que vous auprès de lui. » Dès les premiers mots de cet écrit, on reconnaît le langage présomptueux et absolu, mais noble et sincère, de la philosophie politique du temps. « La cause du mal, sire, dit le ministre en s’adressant au roi, vient de ce que votre royaume n’a point de constitution. C’est une société composée de différens ordres mal unis et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que peu de liens sociaux, où par conséquent chacun n’est guère occupé que de son intérêt particulier exclusif, de sorte que dans cette guerre perpétuelle de prétentions et d’entreprises votre majesté est obligée de tout décider par elle-même ou par ses mandataires. Vous êtes forcé de statuer sur tout, et le plus souvent par des volontés particulières, tandis que vous pourriez gouverner comme Dieu par des lois générales, si les parties intégrantes de votre empire avaient une organisation régulière et des rapports connus. »

Il ne peut jamais être tout à fait vrai qu’une nation qui vit et qui marche n’ait pas de constitution. Ce mot de Turgot ou plutôt de Dupont de Nemours allait donc au-delà de la vérité. Il y ajoutait quelques autres principes d’un radicalisme contestable comme celui-ci : « Les droits des hommes réunis en société ne sont point fondés sur leur histoire, mais sur leur nature, » ce qui est vrai sans doute en règle générale, mais ce qui doit subir des exceptions au moins temporaires en présence de faits historiques anciens et puissans. Il n’était d’ailleurs nullement nécessaire de faire le procès à l’histoire quand il s’agissait de rétablir des franchises locales qui n’avaient cessé d’exister que depuis cent cinquante ans. Le reste du mémoire est, comme le début, un mélange d’idées justes et d’idées erronées ou au moins prématurées, mais où domine un ardent amour du bien public. D’après le plan de Turgot, chaque paroisse devait avoir son assemblée élective, chargée de répartir les contributions, d’exécuter les travaux publics et de veiller au soulagement des pauvres. Ces assemblées devaient être nommées par les propriétaires de la paroisse sur cette base, que 600 livres de revenu donneraient droit à une voix, 300 livres à une demi-voix, 1 200 livres à