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deux voix, et ainsi de suite, ce qui avait pour but de supprimer par le fait l’ancienne distinction des trois ordres, clergé, noblesse et tiers-état, en la remplaçant par une mesure commune. À côté des municipalités rurales, le projet constituait des municipalités urbaines sur des règles analogues. Les unes et les autres devaient nommer des députés à des assemblées ou municipalités d’arrondissement, celles-ci à des assemblées ou municipalités provinciales, et celles-ci enfin à la grande municipalité ou assemblée générale du royaume.

Ce plan différait de celui de Fénelon en ce qu’il ne rétablissait pas les états proprement dits, qui reposaient, d’après la tradition, sur la distinction des trois ordres, clergé, noblesse et tiers-état. Le rédacteur du mémoire s’en expliquait formellement. « Ces assemblées, dit-il, ne sont pas des états. Ce n’est point comme membres d’un ordre, mais comme citoyens propriétaires de revenus terriens, que les gentilshommes et les ecclésiastiques feront partie des municipalités. » Voilà probablement ce qui empêcha le roi d’y donner suite, quoique ce système fût beaucoup plus favorable à l’autorité royale que celui des états et des ordres. Il n’est même pas sûr que Louis XVI en ait eu connaissance et que Turgot ne se soit pas réservé d’y réfléchir, car Dupont de Nemours dit en propres termes que le mémoire n’était qu’une esquisse, et que le ministre devait le revoir de sa main.

Là était en effet en 1774 une des plus grandes difficultés. Les intendans avaient fondé leur autorité sur la rivalité des trois ordres, et même dans l’oppression commune cette rivalité durait encore. Les idées nouvelles qui commençaient à se faire jour repoussaient l’inégalité traditionnelle ; mais la grande majorité de la noblesse et du clergé ne se montrait pas disposée à renoncer à ses privilèges, quelque nominaux qu’ils fussent devenus. L’expédient imaginé par Turgot pour calculer le nombre des voix sur l’étendue des propriétés donnait aux deux premiers ordres la majorité numérique, mais ils ne s’en seraient pas contentés. L’organisation nationale reposait depuis cinq cents ans sur la distinction des ordres ; chaque province avait conservé le souvenir de ses anciens états, qui étaient tous constitués ainsi, et les états encore existans en offraient de vivans exemples. Ces derniers états embarrassaient l’auteur du mémoire. « Quelques-unes de nos provinces, dit-il, ont une espèce de constitution, des assemblées, une sorte de vœu public ; mais, étant composés d’ordres dont les prétentions sont très diverses et les intérêts très séparés, ces états sont loin d’opérer tout le bien qui serait à désirer. C’est peut-être un mal que ces demi-biens locaux ; les provinces qui en jouissent sentent moins la nécessité de la réforme. »

Turgot sortit du ministère au mois de mai 1776, sans avoir donné