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On n’est pas digne de porter une grande couronne, de représenter sur le trône une famille illustre entre toutes, si l’on ne tient pas un compte sérieux des intérêts de cette couronne et de cette famille, même dans ce qui touche à la vie domestique. Rien n’annonçait que la reine Isabelle et la cour de Madrid fussent insensibles à ces considérations. Nous ne pouvions nous dissimuler cependant que ce principe de la candidature exclusive des descendans de Philippe V, admis par les esprits les plus sensés en France et en Angleterre, rencontrait moins d’adhésion en Espagne. Lorsque je parle de l’Espagne, je me sers évidemment de ce terme, si je puis m’exprimer ainsi, dans le sens le plus pratique. Il y a toujours dans un grand pays telle influence prépondérante du moment sur laquelle et avec laquelle la diplomatie étrangère est tenue de compter. Dans cette question du mariage, l’influence décisive, c’était la reine-mère, et ses vues au fond n’étaient point celles des deux cours alliées. Les princesses ses filles étaient les deux grands partis de l’Europe. La reine Christine voulait pour elles un éclatant mariage, un mariage qui compromît d’une façon personnelle et permanente, dans leurs destinées futures, un puissant auxiliaire à l’étranger. Telle était notre difficulté réelle et en même temps la moins connue du public. Constamment animée de cette pensée, la reine-mère désirait avant tout le mariage français. La main des deux princesses ses filles pour deux jeunes princes de France, tel fut son vœu, telle fut son offre constante ; mais, sur le refus non moins constant de la cour des Tuileries, elle ne dissimula nullement qu’elle se croyait d’autant plus libre de rechercher le mariage anglais, car personne n’affectait de considérer sous un autre jour l’alliance avec le prince de Cobourg. C’est sans doute à cette tendance de la reine-mère que nous dûmes en partie de voir successivement écarter, malgré tous les efforts de l’ambassade de France, tant, de princes descendans de Philippe V. Les fils de don Carlos furent déclarés inadmissibles à cause de leurs propres prétentions au trône, les princes de Naples à raison de leur impopularité présumée. L’infant fils du duc de Lucques, sous l’influence de la cour de Vienne, ne se présenta point. Restaient donc seulement les deux jeunes princes fils de don François de Paule, peu agréables, disait-on, à l’une comme à l’autre reine. La difficulté grandissait donc malgré tous nos efforts. Elle entrait dans sa croise au moment même où le gouvernement dont faisait partie lord Aberdeen recevait son premier ébranlement. Si la France ne se refusait péremptoirement au mariage de la reine Isabelle avec un prince français, si l’Angleterre ne se refusait péremptoirement au mariage de la jeune reine avec un prince de Cobourg, l’un ou l’autre de ces mariages pouvait se conclure au premier jour, car, après trois années