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éclater entre les deux gouvernemens ne l’est pas moins. Au fond, les clameurs soulevées en Angleterre par le parti que prit la France pour se garantir d’un désastreux échec n’étaient nullement justifiées. La reine Isabelle épousait en définitive un des trois candidats officiellement recommandés à son choix par le cabinet nouveau ; l’infante, sa sœur, le prince le plus propre, comme l’événement l’a prouvé, à assurer son bonheur domestique[1]. Je me suis toujours étonné que le ministère anglais n’ait pas ainsi accepté et présenté la question sous son véritable jour, d’autant plus que, selon sa constante affirmation, il n’avait jamais réellement voulu ou appuyé le prince de Gobourg. À défaut d’argumens, les invectives ne manquèrent pas, et elles trouvent toujours plus de faveur auprès du public que les plus rigoureuses déductions de la logique. L’Angleterre croit avec une inébranlable ténacité aux vertus et à la candeur de ses hommes d’état ; elle est convaincue d’avance de tous les forfaits qu’il leur plaît d’attribuer aux ministres et aux souverains étrangers. Le temps a donné un rude démenti à ces absurdes imputations, à ces monstrueux pronostics. Au milieu de tant de trônes ébranlés, celui de la reine Isabelle ne cesse de se consolider ; la succession directe est pleinement assurée, et l’heureuse existence de l’infante et du prince français s’écoule loin de la cour et loin de la politique.

Lord Aberdeen quittait le pouvoir sans le regretter. Je crois même qu’il hâtait secrètement de ses vœux l’heure où il pourrait déposer son écrasant fardeau pour reprendre momentanément les douces occupations de sa vie privée. Il aimait pourtant les affaires, et souffrait de les voir conduites d’après des principes qui n’étaient pas les siens. Je crois même qu’en 1846 il eût voulu mener jusqu’à une solution satisfaisante pour nos deux pays cette difficile question du mariage des princesses espagnoles. Toujours est-il qu’il contemplait avec une certaine appréhension, pour l’affaire elle-même comme pour nous, la fâcheuse coïncidence d’un changement de ministère à Londres avec la période critique à Madrid : non qu’il envisageât avec aucune prévention de parti ni aucun préjugé personnel la politique de ses successeurs ; pour l’illustre chef du nouveau cabinet surtout, il avait une sympathie particulière. — Lord

  1. Telle fut la première et judicieuse impression du public anglais ; telle fut celle de lord Aberdeen quant au fond de la question, car sur la forme et les circonstances nous ne nous mimes jamais complètement d’accord avec lui. Dès le 14 septembre, il écrivait de Haddo : « I présume that the marriage of the Queen is regarded with satisfaction in this country. We might perhaps have preferred the duc de Seville, but we can have no reason to object to the duc de Cadiz. » Et plus tard, le 28 octobre : « To the marriage itself of the duc de Montpensier attach little importance. »