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ni d’un tour plus achevé que toute la forme de son corps. À sa démarche aisée et légère, quand elle passe suivie de son petit nègre, on croirait voir courir une nymphe dans les jardins de Versailles. À sa fraîcheur, on la prendrait pour l’aurore d’un jour d’été. On ne peut moins penser à son ajustement, qui est souvent négligé ; mais, si simplement vêtue qu’elle soit, un arrangement naturel la pare en dépit de ses habits. Ses cheveux sont devenus de couleur un peu plus brune ; elle a le front et les sourcils arqués de la plus belle forme du monde. Ses yeux sont si beaux, si vifs, et quelquefois si amoureux et si languissans, qu’on ne peut ni en soutenir l’éclat ni en détacher ses regards, et qu’ils semblent éclairer tous les objets sur lesquels ils se fixent. Pour son esprit, on peut dire qu’il brille autant que ses yeux. Son humeur est galante et enjouée. Elle a le cœur haut, mais l’esprit flatteur, et une douceur, un charme dans l’air du visage qui donnent du prix à ses moindres paroles. Enfin il n’y a rien de si aimable ni de si assorti que son esprit et sa personne. Aussi peut-on bien dire que ma jeune princesse est vraiment la déesse de ces lieux… »


Cette vie de la cour de Louis XIV n’était pas une vie de loisir et de paisibles jouissances ; c’était au contraire une vie de fatigue, où l’on s’agitait beaucoup, et souvent pour ne pas s’ennuyer. Ce n’était qu’un tourbillon de fêtes, de comédies, de chasses, de voyages, puis le jeu suivait toute la nuit. La petite princesse se livrait avec fureur à tous ces divertissemens, qu’elle animait. La crainte d’être grosse était un stimulant de plus à se hâter de jouir de tout. Grosse ou malade, il fallait qu’elle fût parée, habillée deux ou trois fois par jour, qu’elle dansât, qu’elle veillât, qu’elle accompagnât le vieux roi à Marly, à Trianon, à Fontainebleau. Elle ne songeait guère à sa santé, le roi y songeait encore moins pour elle ; il eût été fort mécontent d’être dérangé dans ses habitudes. Dès qu’il se portait bien, tout devait marcher. Il faut se souvenir qu’on vivait dans un temps où Dangeau disait : « Le tremblement de terre que le roi sentit à Marly !… » Il y avait un tremblement de terre pour le roi, de même que les amusemens étaient pour le roi. À travers ce tourbillon pourtant, la jeune duchesse s’arrêtait quelquefois comme surprise, sentant une bouffée de souvenir du pays natal, et disant : « On rit de tout, on se moque de tout ici… » Sa gaieté, à elle, était plus libre, plus naturelle, moins raffinée, et elle plaisait justement par ces saillies d’une nature qui restait elle-même jusque dans une atmosphère si prodigieusement factice.

Si la politique eût été pour Louis XIV une combinaison de prévoyance et d’avenir, ou plutôt, pour rester juste, si le temps l’eût voulu, la duchesse de Bourgogne eût été dès cette époque la vive et séduisante personnification d’une alliance qui, en agrandissant la maison de Savoie au-delà des Alpes, garantissait la France en Italie et la laissait plus libre en Europe. Malheureusement ce n’était qu’un