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de Marly couvrirent plus d’une entrevue. Le malheur est que Nangis était pris d’un autre côté ; il était gardé par Mme de La Vrillière, qui, « sans beauté, était jolie comme les amours et avait toutes les grâces, » et disputait sa conquête même à la princesse. De là mille péripéties intimes, mille scènes piquantes, qui troublaient le repos de cette aimable jeune femme et excitaient chez elle ce besoin de plaire, devenu son charme comme son piège. Un autre amoureux fut M. de Maulevrier, gendre de M. de Tessé, que la princesse traitait toujours avec une affection particulière parce qu’il avait été le négociateur de son mariage et son introducteur en France. Maulevrier était un fou furieux, plein d’intrigue et d’ambition, terriblement jaloux de iNangis et étudiant toujours la mesure de la faveur de celui-ci soit dans un regard de la princesse, soit dans les jalousies de Mme de La Vrillière. Déjà fort avant dans la maison de la duchesse de Bourgogne, il employa un moyen singulier pour entrer encore plus dans son intimité. Il feignit une maladie de poitrine, une extinction de voix qui lui permettait de parler bas à la princesse devant toute la cour ; il joua son rôle pendant plus d’un an, parlant de sa passion, redoutant le bonheur de Nangis, éclatant parfois en reproches contre la princesse, et lui faisant un jour, au sortir de la messe, une scène presque violente qui laissait la jeune femme tremblante et éperdue, lorsque Tessé, heureusement informé, fit une diversion de tacticien et persuada à son gendre de le suivre en Espagne. Malheureusement Maulevrier revint d’Espagne plus violent que jamais, croyant avoir acquis de l’importance par une sorte de faveur auprès de Mme de Maintenon et de Mme des Ursins, toujours jaloux de Nangis et de tout le monde, et il finit tragiquement, en se précipitant du haut d’une fenêtre. La duchesse reçut la nouvelle à la messe du roi ; elle en pleura en secret sans qu’on pût dire si c’était de pitié ou d’attendrissement.

Il y eut enfin, parmi ces amoureux de la duchesse de Bourgogne un personnage qui n’est pas le moins étrange et le moins imprévu : c’est l’abbé de Polignac, depuis cardinal, celui qui, dans un poème, entreprit de réfuter Lucrèce et la Nature des Choses au nom de la Providence. L’abbé de Polignac était bien fait, lui aussi, comme Nangis, beau de visage, gracieux de manières et d’esprit, insinuant, flatteur, parfait courtisan, au point de dire un jour au roi, dans les jardins de Marly, où l’on était surpris par la pluie : « Ce n’est rien, sire ; la pluie de Marly ne mouille point. » Il s’insinua adroitement dans le monde intime du duc de Bourgogne, et il fit si bien qu’il devint le favori du prince au moins autant que de la princesse. Que se passait-il ? On ne le sait ; mais lorsque l’abbé de Polignac partait pour Rome en 1706 comme auditeur de rote, l’aimable princesse ne